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[Séminaire philo] Compte-rendu du séminaire philo consacré à Hannah Arendt

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Préparation du séminaire Judith Butler à l’UPJB, Consacré à Hannah Arendt : C’est quoi, finalement, la question juive ? Jeudi 12 décembre 2024

La question juive de Hannah Arendt

C’est parce que j’aime bien m’appuyer sur des idées fortes, images ou concepts, en guise de didactique philosophique me permettant de faire des ateliers créatifs en philosophie, que j’ai pensé à faire référence à « la question juive ». La question juive me semblait une de ces « images/concept », que tout le monde connait, croit comprendre, mais qui s’avère plus complexe à la réflexion. C’est donc très expérimentalement que j’émettrai l’hypothèse que tout le travail et la vie de Arendt consistent finalement à construire cette question. Lorsqu’on regarde le concept sur Wikipédia[1], il est remarquable que la question semble avoir été réglée avec la « solution finale » et avec la création de l’Etat d’Israël. Pourtant cette question, que l’on peut dater, avait fait couler beaucoup d’encre notamment avec l’idée de Sartre : On est juif par le regard de l’autre. Et la question de ce que c’est qu’être juif est loin d’être épuisée : un peuple, une ethnie, une religion, une histoire, un principe d’étrangeté, … ? A l’UPJB, on se la pose tout le temps ! Elle brasse de nombreux thèmes : la laïcité, l’intégration, l’immigration, les droits de l’homme, le racisme, le rapport au religieux et à la culture, etc. ! C’est l’UPJB qui a proposé la formule « Juif comme bon nous semble » qui ne me convainc pas trop. Tout aussi équivoque est la définition de Roudinesco : Être juif c’est se poser sans cesse la question de ce que c’est qu’être juif ! Ce qui me ramène précisément à La question !

J’émettrais donc l’hypothèse que cette question est « La » question de Hannah Arendt. C’est la question qu’elle a subie, qu’elle a agie (en s’engageant politiquement), et qu’elle a pensé. Même si, à ma connaissance, ce n’est que Judith Butler qui en a fait une synthèse et problématique globale.

La question juive, c’est l’Aufklarung qui l’a posée. Les concepts de « judéité » et d’« antisémitisme »

C’est Arendt elle-même qui explique : « La question juive sous sa forme contemporaine, est contemporaine de l’Aufklarung, ; c’est-à-dire le monde non-juif qui l’a posée » (p. 117 L’Aufklarung et la question juive, Ecrits juifs). Si je dois faire référence, à cette « philosophie des Lumières » de la fin du 18e siècle, je dirais que l’Aufklarung, c’est l’idée essentielle que la souveraineté des Etats ne se trouve plus chez un Roi (qui joue le rôle d’un Dieu sur terre), mais bien dans le peuple qui élit ses représentants. Cette souveraineté se trouve désormais dans la « nation », c’est-à-dire le « peuple » pour autant qu’il soit conscient de son identité politique. D’où la naissance des « Etats-Nations » : Un Etat comme organisation politique, et/pour Un Peuple, qui en est souverain. Mais cela provoque d’emblée un risque, celui du nationalisme, qui est la promotion excessive de cette nation. L’Aufklarung c’est aussi la promotion de la raison humaine, de l’Homme, de la valeur de l’humanité par rapport à laquelle nous devrions tous être égaux, au-delà de nos ancrages et différences. Or, dira Arendt, c’est au moment-même où on se rend compte de cette universalité humaine que l’on doit se rendre à l’évidence que l’homme ne peut véritablement vivre (agir, s’exprimer, penser, …) qu’ancré dans une communauté humaine. L’Aufklarung, dès lors, rend peut-être compte de cette ambivalence. Pour les juifs, l’Aufklarung, signifie très concrètement leur émancipation, c’est-à-dire le fait qu’ils aient reçu des droits qui les rendent complètement égaux à leurs concitoyens (Cela s’est passé en France, en Allemagne, et dans tous les pays occidentaux). Mais, voilà, ils ne sont pas pour autant « intégrés » dans la population. On les a invités certes à « s’assimiler », devenir comme tout le monde. Mais cela signifiait disparaître en tant que juifs. De là naît la « question juive » de Bruno Bauer en 1843 : Les juifs sont-ils susceptibles de s’intégrer, et à quelles conditions ? Dans la foulée, finalement matérialiste, Arendt propose toute une analyse à la fois économique, sociologique et psychologique de cette question juive : Les juifs forment-ils « une nation dans la nation » ? les juifs doivent-ils être « juifs chez eux et allemands à l’extérieur » ? Quelle va être leur psychologie individuelle ? Et, peut-on parler de psychologie collective ? Etc.

Or, c’est à ce moment qu’Arendt utilise ces deux concepts qui sont contemporains et n’existent pas l’un sans l’autre : à la fois la judéité et l’antisémitisme. La judéité, n’est pas le judaïsme dans le sens où elle interroge cette question juive non pas à partir de quelques éléments métaphysiques ou religieux, mais bien comme une réalité historique complexe. Et l’antisémitisme également, ne se rapporte pas à une haine présumée des juifs ou un antisémitisme éternel, mais bien à cette « question juive » elle-même, c’est-à-dire à la judéité comme affirmation d’une question juive. Tous les éléments racistes ou ethniques ou religieux qui seront, ultérieurement, utilisés pour expliquer l’antisémitisme, le seront, selon Arendt, en guise de réponses, c’est-à-dire parce que les antisémites avaient besoin d’éléments concrets, tangibles, plutôt que d’expliquer simplement la différence (juive), c’est-à-dire, finalement, la multiplicité nationale.

En termes de question juive donc, Hannah Arendt propose toute une analyse très fouillée et peut-être hasardeuse dans sa biographie de Rahel Varnhagen, écrite avant son exil en France, c’est-à dire dans ses années de jeunesse. C’est ce qui lui sera reproché par un certain Michel Dreyfus dans Hannah Arendt et la question juive[2]. Pour ma part, j’essayerai de n’en retenir ici que deux principes. D’abord, le fait que les juifs sentent bien qu’ils « ne sont pas admis en tant que juifs, mais pour autant qu’ils singent les gentils » (Tradition cachée). C’est comme si on attendait d’eux qu’ils fournissent les preuves qu’ils sont bien des Hommes, en l’occurrence, des Allemands. Et, c’est dans le fait de chercher à être plus allemands que les Allemands, qu’ils sont parfois exceptionnels. Mais, même à ce moment-là, cela ne fait que souligner à quel point les autres sont ordinaires. Et, cela attise une haine qui ne cesse de croitre. Cette situation a, ensuite, pour effet de rendre les juifs indifférents ou particulièrement maladroits en politique. « Le succès social des juifs n’est acquis- explique Arendt – qu’au prix d’une détresse politique, et le succès politique, au prix d’un affront social » (Antisémitisme). Arendt ne se prive pas de leur reprocher cet apolitisme, et le fait que toujours occupés à chercher à se faire bien voir, ils sont prêts à s’allier à n’importe quel type de politique[3].

Le totalitarisme règle la question juive en éliminant les juifs considérés comme « superflus »

Le totalitarisme[4] n’est pas un régime politique parmi d’autres, mais un phénomène inédit, qui balaye tous les régimes politiques et toute la science politique et en est la négation. C’est une catastrophe historique, une fuite en avant, un emballement qui signe l’échec de l’Etat-Nation et aussi de toute une civilisation. Il faut aussi comprendre cette histoire comme ayant ses racines dans le capitalisme triomphant, la technicisation de la société, la réduction du peuple en masse par la propagande, etc. ….

Maintenant, la question qui nous intéresse est comment expliquer que la question juive ait été au cœur de cette histoire totalitaire. Et comment le totalitarisme a été au cœur de la question juive.

L’antisémitisme (Sur l’antisémitisme Tome 1, 1949) :

L’antisémitisme s’explique, selon Arendt, par le fait que les juifs aient systématiquement « flirté » avec l’Etat (prêt d’argent, ouverture sur l’international, conseils, …) au point qu’ils aient cristallisé sur eux toutes les haines vis-à-vis de l’Etat des différentes couches de la population. Et surtout dès lors qu’ils n’ont plus été utiles à l’Etat ! Ils ont été financiers des transactions d’Etat depuis l’époque des juifs de Cour, ils lui apporté du capital industriel et même des connexions européennes. C’est ainsi qu’ils ont été identifiés comme « représentants » de l’appareil d’Etat lui-même. Par contre, ils n’ont pas réussi à s’identifier à aucune des classes sociales de la société allemande. Et, lorsque les Etat ont été en difficulté avec chaque classe, pour des raisons précises, chaque classe, qui est entrée en conflit avec l’Etat, est devenue antisémite. Plus loin, Arendt montre comment le concept de « race » (issu de l’entreprise coloniale) a pu servir de matériau pour expliquer en quoi les juifs étaient différents. Elle critique aussi l’attitude complètement inadéquate et apolitique de certaines personnalités juives comme Disraeli.

L’impérialisme (L’impérialisme Tome 2, 1951) :

Les juifs, qui ne sont pas reconnus comme appartenant pleinement aux nations, sont les premières victimes de ce mouvement d’expansion impérialiste qui emporte ces Etat-Nation loin de leurs Etats et de leur Nations. L’impérialisme est, en effet, une sorte de « débordement » de la structure étatique et nationale mené au nom de la croissance économique, notamment. Et donc, une substitution d’une loi stable, par une dynamique d’expansion illimitée (Or cette substitution du politique par une victoire d’un mouvement « naturel » est un trait du totalitarisme !). Une fois les intérêts privés travestis en principes politiques, le pouvoir se réduit à une domination par la force et l’exportation de la violence. C’est ce qui se passe dans les colonies qui se construit sur les deux piliers que sont le racisme et la bureaucratie, des piliers qui vont contaminer l’Europe. Mais il y a aussi un impérialisme continental qui balaye les structures politique en créant des Minorités dont la défense parait insoluble. Dans cet impérialisme continental, juifs deviennent les symboles de toutes les minorités problématiques. Ne bénéficiant plus des protections des Etats, et errant sur des territoires qui ne les reconnaissent pas non plus, les apatrides sont, de fait, exclus des Droits de l’Homme.

L’impérialisme marque donc aussi l’échec des Droits de l’homme. Ceux-ci s’avèrent « le signe manifeste d’un idéalisme sans espoir ou d’une hypocrisie hasardeuse et débile » (L’Impérialisme p. 243). Une belle idée donc, mais un vœu pieu et hypocrite dès lors que les apatrides ne peuvent bénéficier, de fait, de leurs droits. Les apatrides n’ont, en effet, pas été privés de leurs droits du fait d’avoir commis quelque crime qui soit. Mais simplement parce qu’en étant dépourvu de nationalité, ils s’avéraient être simplement des hommes. Mais, « dans cette nudité abstraite de l’être humain, le monde n’a rien trouvé qui intime le respect » (Il n’y a qu’un seul droit de l’homme » p. 104).

« Le paradoxe impliqué par la perte des droits de l’homme c’est que celui-ci survient au moment où une personne devient un être humain en général – sans profession, sans citoyenneté, sans opinion, sans acte parles quels elle s’identifie et se particularise – et apparaît comme différente en général, ne représente rien d’autre que sa propre individualité qui, en l’absence de monde commun où elle puisse s’exprimer et sur lequel elle puisse intervenir, perd toute sa signification » (p292).

Ainsi le problème des juifs est bien celui de l’apatridie, et du déclin de l’organisation du monde en Etats-Nations. Et Arendt fait elle-même le lien en 1951, entre l’apatridie dont ont souffert les juifs et l’apatridie qui se profile pour le peuple palestinien :

« La solution au problème juif imposée par Hitler, solution qui consista en un premier temps à réduire les juifs allemands à une minorité non reconnue en Allemagne, puis à leur faire passer les frontières en tant que peuple apatride, pour finalement les rassembler de toutes parts afin de les expédier dans les camps de concentration, était une démonstration éloquente, vis-à-vis du reste du monde, de la manière de « liquider » réellement tous les problèmes concernant les minorités et les apatrides. Après la guerre, la question juive que tous considéraient comme insoluble, s’est bel et bien trouvée résolue – à savoir par le biais d’un territoire colonisé puis conquis – mais cela ne régla pas le problème des minorités, ni celui des apatrides. Au contraire, cette solution de la question juive n’avait réussi qu’à produire une nouvelle catégorie de réfugiés, les Arabes, accroissant ainsi le nombre des apatrides et des parias de quelques 700.000 à 800.000 personnes. Or ce qui venait de se produire en Palestine, au sein du territoire le plus exigu et à l’échelle de centaines de milliers d’individus s’est ensuite reproduit en Inde à grande échelle et pour des millions et des millions de gens » (p. 270)

Le système totalitaire(Tome 3)

Le système totalitaire met en application la « solution finale » qui résout à la fois le problème de l’antisémitisme et de l’apatridie. Quoi de plus efficace pour régler la question juive que d’éliminer physiquement, et industriellement, tous les juifs, premiers exemples des hommes « superflus » (non sans tuer d’abord toutes conditions d’une vie vivable en eux). Les juifs sont une cible parfaite pour la propagande (dans l’entreprise impérialiste, ils étaient devenus complètement inutiles à l’Etat ou à qui que ce soit d’un point de vue économique, mais c’est cette déchéance même qui en faisait des boucs émissaires de choix). A partir de cette propagande, l’antisémitisme peut devenir une préoccupation personnelle de chaque Allemand. Les camps de concentration sont le lieu d’apparition d’un mal radical (p. 180) : « Le monde du mourir, où l’on enseigne aux hommes qu’ils sont superflus à travers un mode de vie où le châtiment n’est plus fonction du crime, où l’exploitation se pratique sans profit, où le travail ne produit rien, est une usine à fabriquer de l’absurde. » (p. 198). Ils démontrent le pouvoir de l’idéologie totalitaire de transformer l’idée en réalité. « Le dessein des idéologies totalitaire (…) est de transformer la nature humaine » (p. 200). « Une seule chose est claire : le mal radical est apparu en liaison avec un système où tous les hommes sont, au même titre, devenus superflus (…). (…) les entreprises d’anéantissement qui proposent la solution la plus rapide au problème de la surpopulation, au problème de ces masses humaines économiquement et superflues et socialement déracinées, attirent autant qu’elles mettent en garde » (p. 201). « La domination totalitaire se fonde sur la désolation, sur l’expérience d’absolue non-appartenance au monde, qui est l’une des expériences les plus radicales et les plus désespérées de l’homme. » (p. 226). « La désolation (…) est étroitement liée au déracinement et à l’inutilité dont ont été frappés les masses modernes depuis le commencement de la révolution industrielle et qui sont devenues critiques avec la montée de l’impérialisme à la fin du siècle dernier et la débâcle des institutions politiques et des traditions sociales à notre époque. Être déraciné, cela veut dire n’avoir pas de place dans le monde reconnue et garantie par les autres ; être inutile, cela veut dire n’avoir aucune appartenance au monde. (…) » (p. 227).

Le sionisme prétend résoudre la question juive par la création d’un Etat juif. Mais, loin de cela, il crée plutôt la « question palestinienne ». Chronique d’un échec annoncé ! (Cf. Ecrits juifs)

Bien que laïque et issue d’un milieu juif plutôt assimilé, Arendt a été sioniste pendant le nazisme. Et, elle n’a jamais renié le sionisme en tant que recherche d’un foyer juif en Palestine. Ce qu’elle interroge, n’est pas que les juifs viennent habiter la Palestine – que ce soit pour de bonnes ou mauvaises raisons, de séduction par les théories sionistes, par détresse ou par conviction. Ce qu’elle critique, c’est la manière dont ils y viennent et l’idée qu’ils s’en font. Ce qu’elle critique, c’est l’idée d’y établir un Etat juif, comme Herzl en a rêvé. Car, il s’agit bel et bien d’un rêve imaginé avec des outils conceptuels d’un autre temps, avec une idée d’une nation comme « un organisme vivant » qui ne correspond à aucun réalité politique (L’Etat juif 50 ans après, p. 552-554). Cette idée d’Etat juif s’appuie sur les mêmes vices ont conduit les Etat- Nations européens à exclure les juifs, en faire des apatrides et les exterminer. Et, dans la mesure où l’Etat juif exclurait tous les habitants qui ne sont pas juifs, cela reviendrait à recréer les conditions pour un nouveau génocide[5]. Il est incontestable que les Palestiniens habitent sur cette terre. Et un Etat implanté sur ce territoire ne peut être que celui de tous ses habitants. Penser en termes de majorité ou minorité est tout aussi macabre. Ce qu’il s’agit de créer est un nouveau projet politique qui aille au-delà des failles des Etat- Nations[6]. Ce qu’elle condamne est donc surtout les dirigeants sionistes pour n’avoir pas su s’entendre avec les Palestiniens pour créer les conditions pour une cohabitation plurielle en Palestine. Et aussi l’idéologie sioniste qui continue à coloniser les esprits. Les écrits juifs de Arendt sont extraordinaires de lucidité et d’anticipation. Tous les thèmes de la critique que l’on tient encore aujourd’hui vis-à-vis d’Israël s’y retrouvent déjà, alors qu’elle a écrit ces textes à la naissance même de l’Etat d’Israël. Ce qu’elle critique : Le déni arrogant des Palestiniens, l’incapacité d’obtenir la confiance des Arabes : Réexamen du sionisme 510, Le postulat d’être encerclés par des forces hostiles, unis contre un ennemi commun : L’Etat juif 50 ans après (p. 555) L’absence effarante de prise en compte de l’autre : L’Etat juif 50 ans après Une sorte de résignation face à l’antisémitisme et la conviction que celui-ci ne disparaîtra jamais ; l’opportunisme sioniste qui a négocié avec Hitler : Réexamen du sionisme (p. 514) La realpolitik : « On appelle « realpolitik la politique issue d’une telle mentalité. Ses personnages centraux sont les hommes d’affaires qui s’improvisent hommes politiques, convaincus qu’ils sont que la politique n’est qu’une gigantesque affaire qui se traite à coup de pertes et de gains colossaux et avec des bandits qui proclament : Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». Une fois ls idées abstraites remplacée par la spéculation financière, il était facile que la justice abstraie cédât la place aux révolvers concrets. La politique juive (1944).

« Les grandes nations qui peuvent se permettre de jouer le jeu de la politique de puissance ont trouvé facile d’abandonner la table ronde du Roi Arthur pour la table de poker ; mais les petites nations impuissantes qui risquent leurs propres intérêts à ce jeu, et qui essayent de se mêler aux grandes, finissent par se faire avoir. Les juifs, qui risquent leurs cartes de façon « réalistes » dans le maquignonnage du pétrole au Proche-Orient se trouvent en fait dans la situation inconfortable de ces gens passionnés de négoce de chevaux qui, n’ayant ni cheval, ni argent, décident d’y suppléer en se contentant d’imiter le magnifique « Tope là ! » qui accompagnent habituellement ces transactions tapageuses » (p. 512 Réexamen du sionisme) La dépendance vis-à-vis des grandes nations : idem Le suicide : « Certains dirigeants sionistes feignent de croire que les juifs pourraient se maintenir en Palestine contre le monde entier et qu’eux-mêmes [en menant] une politique du tout ou rien (…). Sous cet optimisme fallacieux se dissimulent un désespoir complet et un authentique empressement au suicide qui pourraient devenir extrêmement dangereux si, d’aventure, ils parvenaient à dominer la tonalité et l’atmosphère de la politique en Palestine » (L’Etat d’Israël 50 ans après) Le baril de poudre que constitue la situation d’Israël avec ses voisins ; La condamnation à la militarisation perpétuelle : « Israël deviendrait un Etat militariste enfermé derrière ses frontières menacées, un Etat à demi souverain, d’où la culture juive disparaîtrait progressivement ». (Réexamen du sionisme 1944). « Et même si les juifs devaient gagner la guerre, la fin du conflit verrait la destruction du rêve des juifs du monde entier. Les juifs victorieux vivraient environnés par une population arabe entièrement hostile, enfermés entre des frontières constamment menacées (…) (Pour créer un foyer juif en Israël, il est encore temps 1948)

Une « tradition cachée »

Même si elle s’est plutôt contentée d’observer la question juive avec du recul, Arendt a quand même réfléchi aussi à sa propre judéité. Elle l’inscrit vraisemblablement dans une certaine tradition de pensée par rapport à laquelle elle exprime toute sa tendresse, sa complicité et même sa filiation. Mais, c’est Judith Butler qui est soucieuse de problématiser ce rapport à sa propre judéité. A cet effet, nous devons tenir compte également du refus de Arendt de tout communautarisme ou complaisance vis-à-vis de la communauté juive. Cela lui a bien sûr été reproché, mis au compte d’une « haine de soi juive séculaire ». En, réalité, Arendt justifie sa sévérité vis-à-vis des juifs par le fait qu’on est plus sévère envers soi-même que par rapport aux autres. Ce qui est déjà une forme d’allégeance !

Selon Butler, cette sensibilité particulière de Arendt a quand même sa source dans ce qui serait, selon elle, une traduction laïque de la religion juive. Cela est particulièrement visible lorsque Arendt se réfère bien à Hillel lorsqu’il s’agit d’expliquer son propre engagement par rapport aux juifs : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? » (p.189 Butler). Elle est en affinité totale avec Benjamin dont elle adopte le messianisme et surtout l’idée que les hommes ont à participer du pouvoir qui façonne le drame du monde. Également lorsqu’il critique une certaine idée du progrès historique. La notion mystique de Dieu comme émanation se retrouve dans son idée de peuple en diaspora, en référence à Isaak Luria : « Autrefois, la diaspora était considérée comme une punition pour les péchés d’Israël. Maintenant, il (l’exil) ne cesse d’être cela, mais intrinsèquement, il devient une mission qui est de ramasser les étincelles dispersées où elles se trouvent » (L’histoire revisitée p. 465). Enfin, comme l’explique Butler, on peut rechercher dans le judaïsme son attrait pour la tradition de l’exil et sa reconnaissance de la mémoire des dépossédés. Et, elle considère la politique comme affaire d’action, fondée sur la cohabitation et la pluralité.

Arendt développe son idée de « parias » à travers quatre figures et quatre formes particulières : Heine (le paria rêveur, Schlemihl), Lazare (le paria conscient), Chaplin (le paria suspect) et Kafka (L’homme de bonne volonté). Il me semble que l’on puisse définir le paria par celui qui se situe toujours à la marge de la société, car il est sans concessions, sans chaines vis-à-vis de quoi que ce soit. Il est à toujours « à côté de la plaque » parce que ses rêves sont plus forts que la réalité ; il est suspect lorsqu’il dit simplement ce qui est ; il est rejeté, là où il est de la meilleure volonté. Sans doute que Arendt s’identifiait avant tout à Lazare, le paria conscient, qui s’engageait nécessairement dans l’action contre la violence d’Etat, la résistance.

Il y a assurément, dans cette référence au paria, un retour à la morale pure et à ce titre, un impératif de désidentification, fût-il à l’identité juive. Si les juifs ont tant reproché à Arendt son agressivité par rapport au peuple juif, son manque d’amour, voire sa haine de soi, elle y répondait par le fait qu’on ne pouvait aimer que des personnes[7]. Le fait qu’elle soit sans concession fait, plutôt d’elle un exemple pour Butler. Finalement cela n’enlève rien à l’attachement qui peut se manifester par le fait que l’on soit justement encore plus sévère avec soi-même qu’avec les autres. Mais, cette idée devient réellement philosophique dans le sens où elle justifie l’exigence de Arendt, comme de Butler, de considérer que ce n’est pas parce que l’on a souffert (comme peuple) que l’on ne peut pas faire souffrir les autres. Elle est à la source d’un certain être au monde et une volonté de comprendre :

« Ce n’est que lorsque nous nous sentirons partie intégrante d’un monde dans lequel , comme tous les autres, nous menons une lutte contre des vents forts et des marées qui parfois nous submergent, tout en gardant une chance de triompher, fût-elle faible, et des alliés, fussent-ils rares – ce n’est que lorsque nous reconnaîtrons le contexte humain dans lequel les événements se sont déroulés, sachant que ce qui fut fait le fut par des hommes, et par conséquent qu’il peut et doit être empêché par des hommes – ce n’est qu’alors que nous pourrons débarrasser le monde de sa part de cauchemar » (p. 555 L’Etat des juifs 50 ans après).

Dans ce très beau texte « Nous autres réfugiés », elle explique que c’est en tant que réfugiée qu’elle se sent « à l’avant-garde des peuples ». Et, que c’est sa condition d’exilée qui caractérise sa judéité. Ce qui donne à la judéité une position très caractéristique de dedans/dehors, que Butler problématise, comme nous l’avons vu précédemment.

Arendt cherche avant tout à comprendre. Et, elle utilise les outils de la pensée et de la tradition philosophique allemande qui est la sienne. Sa plus grande référence est finalement Kant, le penseur de la morale par excellence. Et, elle réagit aussi dans la tradition de la pensée européenne. Ce qui lui vaut le soupçon de Butler d’être quand même très élitiste, voire raciste.

« Penser la cohabitation / Cohabiter la pensée »

C’est Judith Butler qui propose finalement de voir la philosophie de Hannah Arendt et donc sa question juive aussi comme une philosophe de la cohabitation. Il n’y a malheureusement, pas un livre de Arendt qui soit explicitement consacré à cette idée. Il faut la reconstruire à travers toute son œuvre. Pour ma part, j’ai essayé de diviser cette idée en deux parties que Judith Butler traite, pour sa part, de manière plus intriquée ou dialectique. Il y a d’abord une réflexion sur la cohabitation en termes politiques, et puis en termes philosophiques :

PENSER LA COHABITATION (en termes politiques)

Nous pouvons, en effet repérer, dans toute l’œuvre de Hannah Arendt une série de principes :

Le caractère non choisi de la cohabitation sur terre : « Nul n’a le droit de choisir avec qui cohabiter sur terre ! »

Cet impératif est tiré de l’explication de Arendt (après le procès Eichmann) que c’est pour avoir voulu décider avec qui il voulait vivre sur terre qu’Eichmann est condamnable. Cela implique le caractère non choisi d’une cohabitation inclusive et pluraliste : nous ne vivons pas seulement avec ceux que nous n’avons pas choisi, avec ceux envers qui nous n’éprouvons pas de sentiment social d’appartenance ; nous sommes aussi tenus de préserver leurs vies et la pluralité dont ils font partie. La cohabitation sur terre est antérieure à toute communauté, nation ou proximité possible. Et, des normes politiques concrètes, des prescriptions éthiques doivent émerger de ce caractère non-choisi de la cohabitation.

Le principe d’hétérogénéité des populations

L’hétérogénéité des populations est une condition inaliénable de la vie sociale, un impératif catégorique ! En effet, tout Etat qui aspirerait à réduire ou à nier l’hétérogénéité de sa population, qui ne s’attirerait pas le soutien populaire de tous ses habitants, qui définirait la citoyenneté par l’appartenance religieuse ou nationale, donnerait lieu, par la force des choses, à l’existence d’une classe de réfugiés permanents, premier signe d’une logique génocidaire.

Le principe de pluralisation

Cette « hétérogénéité » de la population est susceptible d’être maintenue vivante par un principe de pluralité, voire de pluralisation. Il ne s’agit pas d’un simple droit d’appartenance communautaire (qui risque de virer en communautarisme), mais d’un droit universel à une appartenance communautaire. Ce n’est pas pareil ! le principe de pluralisation « disloque » toute revendication d’appartenance : On ne s’arrête pas à l’une ou l’autre communauté ; et on ne se suffit pas de dire que tout le monde est différent. En disant que tout le monde a droit à s’épanouir dans une communauté, on rend le principe permanent et le processus de différenciation universel. Cela signifie que les droits politiques doivent être complètement disjoints de l’ontologie sociale dans laquelle ils s’inscrivent. Cette universalisation opère toujours dans le cadre d’une population différenciée et perpétuellement en voie de différenciation.

Le droit d’avoir des droits

Les expériences de l’apatridie et du judéocide ont montré que ce n’est que dans le cadre d’une appartenance à une communauté (dans laquelle les hommes peuvent s’exprimer et agir) que ces fameux droits de l’homme peuvent être efficients. Le droit d’avoir des droits est donc le droit d’appartenir à une communauté organisée, seule susceptible de faire en sorte « d’avoir une place dans le monde qui rende les opinions signifiantes et les actions efficaces » (Impérialisme p.281). « Il n’y a qu’un seul droit de l’homme » explique Arendt[8] : c’est celui de faire valoir, à l’intérieur d’une communauté politique existante, d’autres droits positifs à rechercher dans ces expériences concrètes de dépossession, concrètes et localisées et non en référence à une « nature humaine » abstraite. Il n’y a qu’un seul droit de l’homme, celui, donc d’avoir des droits ! Ces droits, aujourd’hui, sont garantis, par exemple, dans le droit d’asile. Mais celui-ci reste encore trop subordonné au bon vouloir des Etats.

La dépossession de toute forme d’appartenance nationale

Il est remarquable que Judith Butler fonde finalement le concept de cohabitation chez Arendt, dans un souci de type ontologique et éthique. A savoir, la manière dont nous sommes, chacun, liés à autrui, une manière qui n’est pas de l’ordre d’un lien social, mais précède tout contrat, et est ancré dans l’interdépendance ontologique. C’est alors à chacun de se penser toujours hors de soi-même, avant soi-même. Et ce n’est que de cette manière que nous avons une chance d’être pour autrui. Ce n’est que dans ce cadre éthique que nous comprenons que détruire autrui, c’est détruire notre vie elle-même. « Le co de cohabitation ne peut être pris dans le sens d’un simple voisinage spatial : il n’y a pas de foyer sans contiguïté, sans une ligne qui délimite un territoire et le rapport simultanément à un autre ; il n’y a pas de séjour déterminé dans un espace sans qu’une extériorité délimite l’espace même de l’habitation. « La cohabitation affirme et exige que l’on trouve les conditions de sa propre vie dans la vie d’autrui, des conditions où il y a de la dépendance et de la différence, de la proximité et de la violence (p. 202).

Le fédéralisme comme système politique qui garantit les droits des populations irréductiblement plurielles

Après des hésitations, pour Arendt, c’est le Docteur Magnes, premier recteur de l’Université de Jérusalem qui avait proposé la meilleure formule en parlant d’Etat binational. Il n’y a pas qu’une formule de fédéralisme. Il s’agit ici de réfléchir plutôt à un principe politique.

La précarité partagée

C’est assurément un thème cher à Butler, qui est à ce titre, une philosophe de la précarité et de la préservation de la vie ! Elle pose comme base du droit international, une sorte d’animalité humaine ou de précarité universellement partagée. Ce qui revient à réclamer le droit d’être protégé contre le génocide délibéré, contre les formes destructrices de négligence et d’abandon des populations précaires à l’échelle internationale.

COHABITER LA PENSEE

Ces réflexions sur l’action et puis surtout la pensée sont venues après le procès Eichmann. En effet, suivre ce procès Eichmann a été une expérience déterminante pour le développement de la pensée philosophique Arendt. Toutes ses thèses sur la banalité du mal, ses réflexions sur la morale (et son rapport à Kant), les conditions de la pensée, de la responsabilité individuelle et collective, et aussi de sa critique de l’Etat d’Israël qui a jugé Eichmann, prend sa source dans cette expérience. Or, l’expérience de Arendt, c’est « un jugement ». Et ce jugement, elle l’a elle-même en quelque sorte refait, en son nom de philosophe dans les dernières pages de son livre.

C’est ce texte qui est ici commenté et joliment brodé, par Butler :

« Parce que vous avez soutenu et exécuté une politique qui consistait à refuser de partager la terre avec le peuple juif et les peuples d’un certain nombre d’autres nations – comme si vous aviez le droit de décider qui doit ou ne doit pas habiter cette planète – nous estimons que personne, qu’aucun être humain ne peut avoir envie de partager cette planète avec vous. C’est pour cette raison et pour cette raison seule, que vous devez être pendu » (p. 445)

La question du Tribunal compétent

Arendt critique le fait que ce procès ait eu lieu en Israël, par les victimes donc, car être accusateur et victime, cela enlève de la généralité et de l’universalité à ce « crime contre l’humanité ». Elle critique la propagande d’Etat autour du procès et le besoin de s’autolégitimer en condamnant ses persécuteurs. Bien sûr, elle refuse la vengeance et l’exacerbation d’un certain rapport à la persécution[9]. Ce sera donc elle, Hannah Arendt, philosophe, qui se permettra de juger Eichmann. A quel titre ? C’est ce que l’on va voir + loin…

Juger Eichmann pour ses crimes (« crime contre l’humanité »)

Ce dont Eichmann est accusé, est, selon Arendt d’avoir estimé qu’on pouvait choisir avec qui cohabiter sur terre, qui est une option génocidaire. C’est dire que pour Arendt, un Tribunal international devrait affirmer le caractère précaire de l’humanité et la cohabitation pour fondement d’un droit universel (c’est une affirmation forte !). Il y a un véritable réquisitoire de Arendt où elle justifie la peine de mort en liant cette attitude génocidaire avec le fait d’être soi-même condamné par un Tribunal des vivants. Il ne s’agit pas de vengeance, mais de crime contre l’humanité.

Juger Eichmann sur ses actes

Arendt critique le fait que l’on n’ait pas jugé Eichmann sur ses actes, mais sur la souffrance et la persécution des juifs, en général. Et la question n’est pas non plus une question d’« intention ». C’est plutôt une question d’obéissance et de dissociation entre les actes et la pensée. Dans la société techno-scientifique moderne, nous sommes devenus incapables de penser ce que nous faisons[10]. La technique moderne entraîne une progressive, mais inéluctable déresponsabilisation des hommes dans la mesure où ceux-ci deviennent les agents simples d’un processus qui les dépasse. Il y a donc une réflexion nécessaire sur la culpabilité, la responsabilité et l’obéissance. Pour Arendt, il s’agira de préserver le monde comme domaine de l’interhumain. Elle redessine une position éthique nouvelle « Le courage n’est pas nécessairement, ou même principalement lié à l’acceptation des conséquences de nos actes, il y a déjà du courage, de la hardiesse, à quitter son abri privé et à faire voir qui l’on est, à se dévoiler et à s’exposer » (Conditions de l’homme moderne p. 244). En clair, conclut Truc, pour Arendt, la valeur de l’action ne se mesure pas prioritairement ni absolument à l’aune de ses conséquences, mais plutôt à l’aune de son pouvoir de révélation -lequel fait paraître l’acteur aux yeux des autres et de soi-même. En ce sens, la responsabilité politique ne consiste pas tant pour Arendt à assumer les conséquences de nos actes qu’à assumer l’imprévisibilité des conséquences de nos actes.

Juger Eichmann sur son incapacité de penser

Mais Butler va plus loin, à mes yeux, en réinterrogeant, justement, comment tous ces éléments se combinent, à savoir le rapport entre la pensée, les actes et la manière dont la pensée est déjà un acte et l’agir une pensée et qu’on ne peut ni agir ni penser seul, mais toujours déjà avec les autres en toile de fond. Qu’est-ce que penser ? Qu’est-ce que juger ? Qu’est-ce qu’agir ? Qui sommes-nous ? A ce titre, le jugement que pose Arendt sert d’exemple de délibération ! Elle montre ce que c’est que penser et assumer d’être une personne, … Arendt parle au nom d’un « nous » pluriel ». Ce nous, ce ne sont pas les juges, ni l’Etat d’Israël. C’est le « nous » kantien de la raison, le « comme si » de Kant, accessible à chacun, par l’exercice que chacun doit faire de se hisser, par sa pensée, au niveau de l’universel. Elle se demande ensuite ce qu’il se passe lorsque l’on pense. Or, cet exercice de pensée, c’est un dialogue avec soi-même. Un dialogue où il y a une adresse (je m’adresse à quelqu’un) et en même temps un soi-même. Cela veut déjà dire faire entrer l’autre en soi-même (C’est ici qu’elle peut dire : « Chez Eichmann, il n’y avait personne »). Il n’y avait en effet personne qui soit digne de prendre une quelconque responsabilité de sujet. Or, dit-elle encore, ce soi-même n’existe donc que parce qu’il y a les autres. La socialité précède et rend possible ce que l’on appelle penser. Tout cela permet de conclure qu’il faut toujours un certain courage pour assumer d’être cette personne sollicitée par soi-même. Et, penser est, en ce sens, toujours une prise de responsabilité et un risque. C’est ici que l’on peut retrouver la position de « paria » de Arendt qui ose affirmer sa singularité coûte que coûte. Quitte à s’élever contre la loi lorsqu’elle devient injuste, sinon même souscrire à une forme d’anarchisme[11]. Mais ce qu’il faut dire aussi, c’est que ce soi-même est d’emblée, selon Butler, engagé dans la préservation de l’hétérogénéité de la vie humaine. C’est la pensée elle-même, le fait même de penser, qui doit nous engager à préserver la vie sous toutes ses formes.

[1] Voici ce que je trouve sur Wikipédia : La question juive est une expression apparue à l’époque des Lumières , en Allemagne , qui faisait originellement référence à l’aptitude des Juifs à s’intégrer en Europe occidentale. Elle est l’objet de questions de Napoléon I er à l’Assemblée des notables . L’Empereur désirait savoir si l’intégration des Israélites dans la nation française posait ou non problème. La réponse en fut négative, ce qui ouvrit, entre autres, aux membres de cette communauté l’accès aux grades de commandement militaire. Cette locution n’est plus employée autant qu’auparavant, d’une part parce que la communauté juive a fondé l’État d’Israël , conçu comme un lieu de résidence permanent, et d’autre part parce que l’expression est associée à la solution finale mise en pratique par les nazis . Wikipédia cite plusieurs ouvrages : 1. La question juive (1843) de Bruno Bauer qui soutient que les Juifs ne sauront s’émanciper que s’ils abandonnent leur identité religieuse. 2 La question juive de Karl Marx 1844, dont certains extrait lui ont valu d’être traité d’antisémite : « Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même. » 3. La Conception matérialiste de la question juive de Abraham Léon (1944). 4. Réflexions sur la question juive , de Jean-Paul Sartre (1946) : « C’est le regard d’autrui qui fait du Juif, un Juif » 5. La Condition réflexive de l’homme juif , Robert Misrahi (1963) Enquête sur la psychologie des juifs dans le sillage de Jean-Paul Sartre. 6. La Libération du juif , d’Albert Memmi (1966) : Comprendre l’identité juive. 7. Le Monde moderne et la question juive , d’Edgar Morin (2006) où il est question de repli et d’universalisme. Morin critique sévèrement le tournant national-religieux pris par Israël , sa politique humiliante envers les Palestiniens, et les risques de catastrophe que représente cette posture agressive. 8. Retour sur la question juive, Elisabeth Roudinesco (2009) : Qu’est-ce qu’un juif ? C’est celui qui se pose tout le temps cette question ! 9. Hannah Arendt et la question juive. Pour une relecture, 2023 par Michel Dreyfus qui démolit systématiquement et globalement Arendt, au nom de son manque de rigueur historique et de sa « haine de soi » supposée.

[2] Puf Questions républicaines, 2023.

[3] « La politique juive, dans la mesure où elle existe est presque systématiquement conduite par des gens qui eux aussi ont grandi en vouant un culte au pouvoir et au succès opportuniste – sans jamais devenir puissants ! (La politique juive p. 394 Ecrits juifs)

[4] Le totalitarisme est une forme politique sans précédent, dans la mesure où il en appelle à des lois supérieures (≠ absence de loi), à un principe de domination totale (≠ autoritarisme), par la désolation, c’est-à-dire l’expérience d’absolue non-appartenance au monde (≠ isolement). Il vise l’éradication de toute spontanéité, de toute capacité d’action. Le projet est celui d’une maîtrise totale de la société réduite à l’état de « masse en mouvement ». Et, au nom de l’histoire à laquelle l’idéologie prétend avoir arraché son secret. C’est un monde de « masses » (≠ peuple), sans communauté ou division, sur lesquelles le pouvoir a une emprise et obtient l’unanimité. Organisation inédite autour d’un chef qui incarne le mouvement tandis que le pouvoir diffuse de l’intérieur d’une organisation informe dotée du pouvoir de détruire la réalité. Prolifération d’instances rivales, déplacement du pouvoir. De l’Etat, dont la stabilité ferait obstacle à la dynamique du mouvement, seul le décor est conservé. Pouvoir centré sur la police qui définit, selon son gré, des ennemis objectifs. D’où la terreur. Le système concentrationnaire est un laboratoire destiné à vérifier la croyance sur la possibilité de modifier la nature humaine et d’éradiquer la diversité humaine (l’homme devient « superflu »). + organisation de l’amnésie. La terreur est conduite au nom de l’idéologie (logique d’une idée) = conception du monde logiciste qui prétend délivrer la totalité du processus historiques. Elle forme un engrenage dynamique qui façonne le vrai en fonction des lois présumées. La contrainte se fait totale lorsque la loi est en prise directe sur la réalité. La terreur exécute les sentences de l’idéologie.

[5] « Le sionisme a été créé à une époque où personne ne pouvait imaginer d’autres solutions au problème des minorités ou des nationalités qu’un Etat-Nation autonome avec une population homogène ; les sionistes craignent que cet édifice tout entier ne s’effondre. C’est le contraire qui est vrai : l’édifice s’effondrera, si nous n’adaptons pas nos esprits et nos idées aux faits et aux développement nouveaux » (La crise du sionisme, p. 552)

[6] Hannah Arendt défend bec et ongle l’idée d’un fédéralisme qui pourrait encadrer politiquement, toute sa population particulièrement hétérogène, dans une égalité de droits. C’est seulement dans une telle « fédération » que les juifs eux-mêmes « auraient une chance de survie » (Réexamen du sionisme 1944).

[7] Voir la correspondance avec Scholem

[8] Titre d’un texte de Arendt de 1949 que l’on vient de publier comme inédit, mais qui correspond, en fait à la première version du chapitre 5 du Tome 2 des racines du totalitarisme, l’Impérialisme : Le déclin de l’Etat-nation et la fin des droits de l’homme.

[9] Cf séminaire sur Levinas

[10] Ce n’est pas chez Butler que j’ai trouvé cette analyse, mais dans un article de Jean-Claude Poizat (Assumer l’humanité, Hannah Arendt : la responsabilité face à la pluralité de Gérôme Truc). Gérôme Truc met en rapport Arendt avec Jaspers qui interroge la « Culpabilité allemande » et Jonas qui propose un « principe de responsabilité » (comme principe de précaution) préservation de la vie pour les générations futures.

[11] Voir le rapport avec la violence divine chez Benjamin

Voir en ligne : UPJB

Notes

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