Sommaire
- Le nombre de personnes qui meurent parce qu’elles ont été en contact avec la police, et ceci qu’elles qu’en soient les raisons, augmente.
- C’est dans les quartiers racisés et paupérisés que la police intervient, harcèle, violente et tue le plus. En tant que personnes qui ne vivons pas ces traitements policiers, notre responsabilité est de nous demander si nous acceptons cela ou non.
- La police n’a jamais eu pour fonction d’éviter les violences ou de maintenir un ordre social juste.
Malgré ce constat, qui devrait pousser à aborder ces « cas » avec recul, les homicides perpétrés par la police continuent à être rangés dans la catégorie « faits divers ». Cette fois encore, la plupart des médias ont relayé la version officielle (celle de la police puis celle du parquet) après l’homicide de Domenico, 31 ans, tué d’une balle dans la tête tirée par un policier ce vendredi 18 août à Oupeye près de Liège.
Nous ne connaissons pas les faits. Les journalistes non plus ne connaissent pas les faits. Pourtant, la plupart oublient leurs cours de déontologie journalistique, n’utilisent pas le conditionnel, n’interviewent pas les personnes présentes ou potentiellement présentes, ne respectent pas leur devoir d’enquête, ne croisent pas (ou très peu) les sources et les affirmations.
Les gadgets technologiques (bodycams et caméras de surveillance) sont souvent absents ou étonnamment « dysfonctionnels » dans ces situations. Très rares sont les cas où ce ne sont pas des images prises par la population qui ont permis de faire un peu de lumière sur les faits.
Ce texte ne se focalise donc pas sur le cas spécifique de Domenico, mais sur la séquence macabre dont il fait partie [1]. Car, au-delà des faits, c’est surtout l’hypocrisie qui entoure cette nouvelle mort qui devrait poser question.
On tolérait déjà passivement que des personnes (majoritairement racisées et précarisées) soient tuées par « notre » police parce qu’elles sont considérées comme voleuses ou armées (d’un vrai couteau ou d’un couteau fantasmé, par exemple). On tolère désormais passivement qu’elles soient tuées parce qu’elles sont considérées comme dangereuses sur la route…
Le nombre de personnes qui meurent parce qu’elles ont été en contact avec la police, et ceci qu’elles qu’en soient les raisons, augmente.
Elles l’étaient peut-être, la question n’est pas là. Des personnes blanches aussi sont parfois considérées comme voleuses, armées ou dangereuses sur la route. On ne les traite toutefois pas de la même façon. Pourquoi insister (et la plupart du temps mentir) sur les circonstances précises d’une intervention policière afin de justifier une mort, plutôt que de se demander s’il est logique que de plus en plus d’interventions pour état d’ivresse, accès de « folie » ou non respect du code de la route se soldent par des morts ? Que les policiers aient fantasmé ou non le fait que Domenico était (très) dangereux pour eux ou pour les autres ne change rien au fait qu’il n’y aurait pas eu de mort sans leur intervention. Ce n’est pas une exception. Le nombre de personnes qui meurent parce qu’elles ont été en contact avec la police, et ceci qu’elles qu’en soient les raisons, augmente.
Il y a des cas plus flagrants que d’autres (Mawda, Adil …) mais, au fond, le processus et son résultat mortel sont les mêmes. Que les policiers en question l’aient fait exprès ou non, qu’ils se soient retrouvés dans une position dangereuse pour leur vie ou non, qu’ils soient connus comme racistes ou non, qu’ils aient eu des remords ou non, tout cela est bien sûr important mais ne change rien à cette réalité macabre et ultra-violente : c’est dans les quartiers racisés et paupérisés que la police intervient, harcèle, violente et tue le plus. Que Domenico ou d’autres « dealent » [2], qu’ils volent, qu’ils refusent d’obtempérer ou qu’ils fuient face à la police n’est pas une cause mais une conséquence de cette violence [3]. On peut prendre tous les cas et en disséquer chaque détail, peu importe, notre responsabilité (en tant que personnes qui ne vivons pas ces traitements policiers) est de nous demander si nous acceptons cela ou non.
C’est dans les quartiers racisés et paupérisés que la police intervient, harcèle, violente et tue le plus. En tant que personnes qui ne vivons pas ces traitements policiers, notre responsabilité est de nous demander si nous acceptons cela ou non.
Être policier est l’un des pires métiers du monde. Le taux de suicide ou de dépression en son sein le montre. Cela ne justifie en rien l’acharnement de ce corps d’État sur une partie de la population. La solidarité corporatiste systématique des autres policiers, ainsi que de leur hiérarchie, envers ceux qui ne respectent pas la loi (une intervention policière est toujours censée être légale, nécessaire et proportionnée – oui, on dirait une blague pour celles et ceux qui ont l’habitude des interventions policières) montre que le changement ne viendra pas de là. Tout comme le fait de prétendre que plus de répression pourrait permettre de ramener « l’ordre », de « mater ces jeunes » (c’est-à-dire les morts et les émeutiers [4] qui y répondent), est fondamentalement stupide et hypocrite. C’est un fantasme, cela ne fonctionne pas comme ça. Certaines personnes peuvent désirer de manière viscérale que ces jeunes soient « punis », mais elles doivent alors assumer que leur réel désir est d’augmenter la violence dans la société et non de la diminuer.
La police n’a jamais eu pour fonction d’éviter les violences ou de maintenir un ordre social juste.
La police n’a jamais eu pour fonction d’éviter les violences ou de maintenir un ordre social juste. De tout temps et en tout lieu d’autres institutions ont existé pour répondre à ce besoin. La police ne l’a jamais fait, elle n’a pas été créée pour cela. Ce n’est pas le sujet de ce texte mais vous pouvez notamment vous renseigner sur les luttes pour le désarmement ou l’abolition de la police aux États-Unis si ce sujet vous intéresse.
Chaque contexte est spécifique, mais c’est dans les sociétés les plus violentes et où la police a le plus de « droits de tuer » que le nombre de victimes est le plus élevé. On entend souvent dire que « la Belgique n’est pas la France » à propos des brutalités policières, malheureusement la Belgique n’est pas si éloignée de la France en nombre de morts par nombre d’habitant-es.
Et, dans les deux pays, les réactions médiatiques sont quasi systématiquement les mêmes : reprendre la version policière sans recul, charger les victimes, en soulignant par exemple qu’elles étaient « délinquantes » ou « connues de la police », donner des tribunes aux corporations policières, prétendre que l’enquête fera toute la lumière sur les faits et les responsabilités, puis rester silencieux sur l’absence de vérité et de justice qui accompagnent généralement ces morts et leurs proches.
Si on prétend faire société, on ne peut se contenter de regarder ailleurs ou se dire que ce problème est le fait de quelques policiers ou de quelques fauteurs de troubles. Ce problème est bien plus profond et la violence [5] s’amplifiera si on laisse faire. Si on prétend faire société, il faut questionner la nature et l’évolution actuelle de la police, ainsi que l’impunité due à la complaisance du système judiciaire vis à vis des délits et crimes policiers, soutenir les proches de victimes, réagir face aux discours simplistes ou réactionnaires et se solidariser avec les luttes antiracistes qui s’attaquent aux racines du problème.
Un·e participant·e du Front Antifascite de Liège 2.0
complements article
Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!
Proposer un complément d'info