Il y a quelques mois, Georges-Louis Bouchez (MR) se plaignait de l’engagement politique de certain·es artistes, critiquant notamment la présence d’organisateur·ices de festival lors de la manifestation du 13 février dernier, contre l’Arizona. En parallèle, les subsides pour la culture diminuent et les pressions se multiplient sur le statut d’artiste, un revenu spécifique qui est menacé de réforme, voir de suppression, par le nouveau gouvernement. En somme, la possibilité même de faire de l’art son métier est menacé en Belgique. Cette insécurité économique renforce les discours lissés et prudents, dans l’espoir de rester éligible aux aides publiques, financements, et peut freiner l’engagement militant de certain·es artistes.
Les organisateur·ices du festival Esperanzah ont répondu à GLB : « Que Georges-Louis Bouchez le veuille ou non, l’art est politique depuis la nuit des temps« . « Si je ne peux pas danser dans votre révolution, je ne veux pas de votre révolution » : cette phrase attribuée à l’anarchiste Emma Goldman résonne aujourd’hui avec force. Dans ce contexte tendu, nous vous proposons un focus sur quatre artistes-militant·es basé·es en Belgique, qui refusent de dissocier création et engagement.

Achille est un·e jeune rappeur·se bruxellois·e. Ses textes mélangent engagement politique et introspection, dans une recherche constante de nouveauté. L’artiste s’attache à quitter les codes classiques du rap conscient, tout en conservant une partie de sa plume. Son premier album Quelques flocons est un voyage à la fois sensible et politique. Rap, techno, pop, slam, piano-voix, poésie, … Achille touche à tout pour développer son univers, dans un ensemble textuel cohérent. Iel décrit la tristesse de l’époque et la révolte qui en découle, comme dans le morceau « De Bruxelles à Bethléem ». Ses textes parlent des murs qui se dressent mais qui finissent toujours par tomber, d’une jeunesse qui peine à se trouver, d’un monde à refaire, de fond en comble.

L’album rebondit. Il invite tantôt à taper du pied, tantôt à voyager en soi-même. Il parle de luttes. De luttes internes, contre l’apathie intérieure et la déconnexion émotionnelle, mais aussi de luttes externes, contre un capitalisme mortifère, entre autres. L’album raconte : toutes ces luttes sont inextricablement liées. Avec son binôme Tmoin, Achille vient d’ailleurs de sortir un morceau contre le gouvernement Arizona : Arizona (shoot), où il dresse rapidement le décor : « Ils ont pris le nom d’un ancien état esclavagiste, je crois que là j’ai tout dit ».

Youssef Swatt’s est un rappeur tournaisien qui a récemment gagné en notoriété après sa victoire à Nouvelle Ecole saison 3. Actif depuis plus de dix ans, Youssef avait notamment été mis en avant par son passage sur Give Me 5 au début des années 2010, alors qu’il n’avait que 14 ans. Rappeur précis au texte toujours plus affuté, il fait plaisir aux amateur·ices de rap « à l’ancienne », à travers des instrus et des flows aux inspirations old school. Youssef a toujours raconté la précarité, et le fossé entre deux mondes : « J’suis pas de leur monde, alors je les emmerde avec politesse // Pour ne plus voir mon père faire ses courses à l’épicerie solidaire ».

Fin février, Youssef sort Chute libre, un EP 8 titres, où le rappeur nous emmène à la fois dans son environnement brut, comme dans les parkings où il rap, mais aussi dans le monde alentours. Il s’indigne ainsi les violences policières : « Ironie du sort : si un flic me flingue, il prendra plus de cash que moi sur Nouvelle Ecole » (en référence à la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel en 2023). Mais le rappeur critique aussi fermement le racisme et le sexisme : « J’emmerde les oppresseurs et les professeurs qui veulent retirer le voile de mes sœurs ».
Aux fêtes de la musique, il a également pris la parole pendant son concert, retransmis en direct sur France 2 : « Mes pensées aux peuples opprimés, de la Palestine, au Congo, au Soudan, au Yémen, aux sans-papiers en France qui se font chasser par Bruno Retailleau comme si on était dans les années 30 », en référence aux rafles de sans-papiers organisées dans les gares en France ces dernières semaines. L’extrême droite a réagi en traitant le rap de « sous-culture » et de musique de dégénéré, ainsi qu’en s’en prenant au rappeur. Youssef, lui, assume avoir utilisé sa visibilité pour parler de causes importantes : « Je suis obligé de profiter de cette heure de grande écoute ».

Le talu est un·e artiste trans non-binaire français·e basé·e à Bruxelles. Figure émergente de la scène queer francophone, le talu évolue entre cloud rap, trap, électro et ballades en piano-voix. Son premier album Tunning contre la sadness mélange rap et chanson, avec un usage maitrisé du sound design synthétique, qui soutient les textes parlant de sexe pas hétéro, de failles intimes, d’amour et de colères politiques. Iel vient de sortir un nouveau projet nls nlr.

Le talu dénonce les violences policières : « violences comme à Sainte-Soline » (en référence à la manifestation réprimée ultra violemment par la police française en 2023), mais félicite aussi ceux et celles qui s’y opposent : « vaillance comme à Sainte-Soline ». Le talu évolue dans un collectif, la Genderpanik, et cela se ressent dans son art : les invité·es sur scène sont nombreux·ses et les instrus sont toujours travaillées avec la même équipe (Maïa Blondeau et/ou oOryxss4355). L’artiste fait ainsi correspondre sa pratique artistique avec l’amitié et l’amour qu’iel défend dans ses textes.

Chose est un projet musical queer et punk mené par Nath Jonniaux, qui s’étend du hip-hop à l’électro-pop. Le 19 avril 2024, Chose sort « Habiter l’orage », son premier album. Il emmène les auditeurices dans son processus de découverte de soi, de quelqu’un qui a toujours été un garçon, puis un jeune homme, à quelqu’un qui explore sa non binarité. Les thèmes abordés sont larges (genre, masculinité, sexualité) et invitent toute personne, qu’elle se reconnaisse LGBTQIA+ ou non, à s’interroger sur qui iel est. Et à interroger l’amour qu’elle peut avoir pour elle-même ainsi que pour les autres, indépendamment de leurs différences.

Sur scène, Nath envoie toute son énergie, entouré·e par son beatmaker Tomoyo et son bassiste Démis. Un moment de partage, de découvertes, de questionnements, de prise de confiance et d’amour.

Lisette Lombé est une poétesse et slameuse namuroise. Dans ses œuvres, elle mélange critique du système et récits de la vie de tous les jours. Dans son recueil Brûler brûler brûler, l’artiste « écrit pour les vivants, dans une langue qui s’adresse aux derniers rangs « . Elle raconte le racisme, le patriarcat, les manifestations, les poings qui se serrent et la tristesse. Lisette Lombé a aussi fondé le collectif L-Slam et écrit un roman (Eunice).

Elle présente également un spectacle Brûler Danser, avec la musicienne Cloé du Trèfle. Les musiques du spectacle sont disponibles en ligne, dans un album éponyme. Brûler-Danser, c’est une remontada singulière. Il n’y a pas d’équipe adverse. L’ennemi, c’est le temps qui imprime inlassablement sa marque. C’est l’histoire d’une reconquête de soi, par le mouvement. Avec cette grande diversité de styles, Lisette Lombé fait preuve d’une remarquable cohérence dans ses choix musicaux, politiques et poétiques. À suivre, à n’en pas douter.

Sources :
- Press kit des artistes
- « Que Georges-Louis Bouchez le veuille ou non, l’art est politique depuis la nuit des temps » : le festival @esperanzah ! répond au président du MR. Sud Info, 18/02/2025 : https://www.sudinfo.be/id956085/article/2025-02-18/que-georges-louis-bouchez-le-veuille-ou-non-lart-est-politique-depuis-la-nuit
- « Brûler Brûler Brûler, de Lisette Lombé : « J’écris pour les vivants, dans une langue qui s’adresse aux derniers rangs » ». Les missives. 27/08/2021 : https://www.lesmissives.fr/index.php/2021/08/27/bruler-bruler-bruler-de-lisette-lombe-jecris-pour-les-vivants-dans-une-langue-qui-sadresse-aux-derniers-rangs/
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