
Une mesure supposément testée déjà depuis le 15 avril, en toute discrétion, qui interroge sur l’avenir de nos libertés dans l’espace public. Ces drones pourraient être utilisés dans le cas de crimes et délits, mais aussi pour de simples contraventions, infractions ou encore desdites « incivilités ». Une notion floue, sujette à interprétation : qu’est-ce qui est jugé « incivil » ? Et par qui ? Qu’adviendra-t-il des données recueillies par ces caméras mobiles ? Qui y a accès ?
Un rassemblement ? Une prise de parole publique ? Un drapeau palestinien trop visible ? Les possibilités d’intervention sont nombreuses, et les critères, flous.
Qui protège-t-on ?
La zone de police Bruxelles Capitale Ixelles justifie l’usage de drones avec caméras par plusieurs objectifs : Enregistrer les conditions de déroulement des interventions de police ; Améliorer la traçabilité et le compte rendu des opérations aux autorités de police administrative et judiciaire ; Accroître la sécurité des fonctionnaires de police ; Réduire le nombre de faits de violence ainsi que les plaintes infondées à l’encontre des agents ; Renforcer le professionnalisme des interventions policières.
Derrière ces objectifs, a priori présentés comme neutres ou techniques, se décèle une logique orientée : des drones pour la sécurité des agent·es, pour montrer la réalité du terrain. En effet, ces dispositifs ne capturent qu’un angle, une perspective de cette prétendue réalité : celle des forces de l’ordre.
Les caméras restent par contre aveugles lorsqu’il s’agit de remettre en question le point de vue policier. En effet, jusqu’ici, les images de vidéosurveillance recueillies par la police n’ont que très peu servi à l’incrimination des policier·es dans des affaires de violences. Les caméras ne fonctionnent pas : non branchées, hors service, ou avec des images « écrasées ». En 2014, Soulaïmane Archich Jimili, 15 ans, est mort écrasé par le métro à Bruxelles après un contrôle policier. Les 11 minutes de vidéo précédant sa mort, lorsqu’il est intercepté par la police, ont disparu. La STIB a simplement répondu que les images avaient été « écrasées » sans aucune autre explication.
Parmi les objectifs annoncés pour le déploiement des drones, figure également la volonté de réduire les « plaintes infondées contre des agents ». Cette rhétorique contribue à discréditer la parole des plaignant·es et perpétue une culture du doute systématique envers les victimes de violences policières. Elle détourne l’attention des violences réelles, documentées depuis des années par des instances internationales et nationales comme le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), Médecins du Monde, Amnesty International, ou encore la Ligue des droits humains.
Pour les victimes de violences policières, l’accès à la justice est semé d’embûches, dans une « jungle judiciaire et administrative » (Mathieu Beys – juriste). Il est difficile de savoir à qui s’adresser ou quelle procédure entamer. À cela s’ajoutent des réalités décourageantes : le refus d’enregistrer une plainte, des démarches minées par la nécessité de « prouver » ce qu’on avance, ou encore des procès-verbaux souvent rédigés selon le point de vue des policiers impliqués. La rhétorique de la commune d’Ixelles en ce qui concerne le déploiement de ces drones équipés de caméras, au service de la police, s’inscrit plainement dans cette protection des agent·es, plutôt que la protection des victimes de violences policières.
Un partenariat public-privé*
Le projet est porté par la zone de police Bruxelles-Capitale / Ixelles, en collaboration avec celle de Uccle/Watermael-Boitsfort/Auderghem ainsi qu’avec la société privée Citymesh. Il s’agit donc d’un partenariat public-privé. Les drones seront pilotés par un membre de la société Citymesh, sous la supervision d’un membre opérationnel de la zone de police.
Les habitant·es d’Ixelles deviennent des cobayes pour l’expérimentation de nouvelles formes de surveillance, issues du secteur privé, testées dans l’espace public.
Des liens se nouent entre technologies privées et pouvoirs publics, souvent loin des débats médiatiques. Des firmes proposent des outils sécuritaires, toujours plus puissants et invasifs, les autorités les achètent sous couvert de modernisation ou de sécurité, et les citoyen·nes, n’ont quasiment aucun levier pour s’y opposer.
Et la démocratie ?
A en croire la proposition présentée au conseil communal, depuis le 15 avril 2025, une phase de test des drones est déjà en cours, sans réelle communication publique. Elle doit se poursuivre jusqu’au 30 octobre prochain. Or, le vote pour la mise en œuvre des drones est prévu pour ce jeudi 24 avril au conseil communal. Rendre un avis général et une réflexion sur les risques de cette nouvelle technologie intervient donc après le début de la phase test.
À ce jour, plusieurs communes ont déjà voté l’usage de ces drones pour des zones de pompiers ou de secours**. Mais utiliser ces dispositifs pour la surveillance policière représenterait une nouveauté pour Bruxelles et pour la Belgique, selon les informations rendues publiques.
Ces drones ne sont pas de simples gadgets. Ils sont issus de technologies militaires, adaptés ensuite à un usage civil avec des objectifs flous. Via la technologie et ses outils s’opère une transformation silencieuse du pouvoir : de la police qui patrouille, à celle qui capte, analyse, anticipe, et finalement contrôle. Les drones, ou d’autres outils comme la reconnaissance faciale, que le gouvernement Arizona prévoit d’autoriser, servent avant tout les objectifs d’un État de plus en plus sécuritaire.
Tout cela se met en place sans faire de bruit, sans clarté sur les garanties, sans débat de fond. Pourtant, les enjeux sont immenses : droit à la vie privée, liberté de se rassembler, de s’exprimer ou encore de se mobiliser.
Que nous restera-t-il de vie privée et de possibilité de contestation dans un monde totalement surveillé ?
Légende :
- *Un partenariat public-privé : Les PPP sont des marchés publics qui lient un organisme public (Etat, collectivité locale, établissements publics, notamment les hôpitaux) et un ou plusieurs acteurs privés autour d’un projet. Une mission globale est confiée à la partie privée : la construction ou la transformation des ouvrages ou équipements nécessaires au service public ; l’entretien, la maintenance, l’exploitation ou la gestion de ces ouvrages.
- ** Les zones de secours font référence au regroupement des services en zones géographiques
Sources :
- https://www.ieb.be/-Dans-l-oeil-du-numerique-
- Cliquer pour accéder à Rapport%20Police%20Watch%20LDH%202022_FR.pdf
- https://www.humanite.fr/societe/violences-policieres/mathieu-rigouste-sociologue-nous-devrions-parler-darmes-mutilantes-792838
- « Les catastrophes et les grands événements servent d’accélérateurs au capitalisme sécuritaire » : entretien avec Mathieu Rigouste
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