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Comprendre la révolte des agriculteur•ices contre l’Europe

Comprendre la révolte des agriculteur•ices contre l’Europe

Belgique | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie

Ce jeudi 1er février, la vague de protestation agricole, qui s’intensifie en Belgique depuis le lundi 29 janvier, a décidé de cibler la place du Luxembourg, en face des institutions européennes. Le rassemblement a été appelé par la Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs (FUGEA), un syndicat agricole belge qui lutte pour l’autonomie agricole. Le rassemblement a mobilisé des agriculteur·rices venu·es des quatre coins du pays mais aussi des agriculteur·ices français·es et italien·nes.

Le mouvement agricole centre aujourd’hui ses critiques sur les différentes décisions politiques européennes autour de l’agriculture. Le choix de protestation en face du Parlement européen apparait comme une nouvelle étape tant symbolique que matérielle pour le mouvement agricole. Plusieurs feux ont été allumés sur la place du Luxembourg et une statue a été déboulonnée.

Mais que s’est-il passé dernièrement autour du mouvement agricole ? La colère du secteur agricole a pris un nouveau tournant après l’augmentation du prix des carburants des secteurs non-routiers, qui sont en grande partie utilisés par le secteur agricole. Désormais, le prix du gazole pour les secteurs non-routiers a franchi le seuil des 1,20 euros hors taxes, alors qu’il était à moins de 60 centimes avant que la crise énergétique ne commence à la suite du début du conflit en Ukraine. Aujourd’hui, les agriculteur·rices font face à une augmentation annuelle moyenne de 20 000 euros de carburant.

En réalité, cette nouvelle augmentation des prix du carburant non-routier se révèle être le déclencheur d’une colère latente dans le monde agricole. Cette augmentation survient après une série de mesures favorisant sans-cesse les accords de libre-échange agricole, au détriment de la majorité des agriculteur·rices locaux. Ces accords de libre-échange sont permis à l’échelle européenne par la politique agricole commune (PAC), qui depuis 1962 subventionne les agriculteur·rices européen·nes.

Depuis sa mise en place, la PAC a systématiquement été réformée afin de défendre des politiques de marché néo-libérales. Si la PAC avait pour objectif premier de palier à la précarité agricole, elle a progressivement favorisé les grandes industries agricoles au détriment des petit·es et moyen·nes agriculteur·rices. Ces politiques européennes reflètent tout le mépris pour les paysan·nes qui font face à des conditions de travail précaires.

Une crise profonde traverse actuellement le secteur agricole, en Belgique comme en France. En France, on décompte aujourd’hui moins de 400 000 agriculteur·ices contre 1,6 million il y a 50 ans. Le nombre d’élevage français a diminué de 30% au cours de la dernière décennie. En Belgique, la situation est tout autant alarmante. Le nombre d’agriculteur·trices a par exemple baissé de plus de 60% depuis le début des années 1980 dans la province du Hainaut, qui a historiquement concentré son activité autour du marché agricole. La province est passée de plus de 9100 fermes dans les années 1980 à environ 3900 en 2017.

Cette diminution flagrante du nombre d’agriculteur·rices locaux·ales est dûe à un marché agricole européen qui plus que jamais est tournée autour de l’exportation de certains produits agricoles moins chers et ne respectant pas les normes d’agriculture imposées sur le sol européen. La diminution du nombre de fermes s’accompagne d’une augmentation inévitable de la superficie des fermes encore présentes.

L’augmentation actuelle de la superficie des fermes est dûe au fait que les subsides octroyés par la PAC sont proportionnels à la superficie des terrains agricoles : plus une exploitation est grande, plus elle bénéficie d’aides financières importantes. En effet, 80% des subsides de la PAC reviennent aux 20% des exploitations agricoles les plus grandes. Ces politiques favorisent de ce fait l’agro-business, pousse les agriculteur·rices à prendre des risques financiers en faisant des emprunts annuels et réguliers dans l’optique d’agrandir leurs terrains et, finalement, de toucher davantage de subsides.

Aujourd’hui, il n’est plus économiquement viable pour un·e agriculteur·rice de concevoir un mode d’agriculture à petite échelle, respectant l’environnement et de bonnes conditions de travail, tant les subventions sont accordées aux fermes les plus imposantes, devenues de nouvelles formes d’industries agricoles.

Depuis le 29 janvier, de nombreuses routes ont été bloquées en Wallonie, dans une partie de la Flandre. Un blocage a aussi été effectué sur le ring de Bruxelles. Certains centres de distribution de supermarchés belges ont directement été bloqués par les agriculteur·rices, impactant directement les stocks de certaines grandes surfaces alimentaires. D’ailleurs, l’enseigne Colruyt a été particulièrement visée par les agriculteur·ices. Celle-ci dispose d’une main mise sur le marché agricole belge et a racheté des exploitations agricoles, dans une logique d’accaparement des terres.

Notons que les partis de droite et d’extrême droite tentent de récupérer le mouvement en cours. A l’échelle européenne, ils sont pourtant les premiers à voter les politiques dénoncées par les agriculteur·rices locaux. En Belgique, le MR et l’extrême droite flamande ont par exemple approuvé les normes de la dernières PAC.

Aujourd’hui, les principales revendications des agriculteur·rices sont liées aux différentes normes européennes à propos de l’utilisation des pesticides, du prix de l’essence ou encore des nouvelles exigences environnementales. Le secteur agricole dénonce aussi la politique de la PAC qui favorise l’agro-buisness et l’agricullture industrielle au détriment des petit·es et moyen·nes agriculteur·ices. Ces politiques rendent impossible la survie des agriculteur·rices qui se mobilisent en ce moment pour continuer d’exercer leur travail, et en vivre dignement.


Légende :
*Le libre échange est un principe qui favorise le commerce international en supprimant notamment les taxes à l’importation. Par-là, le libre-échange défavorise les productions locales, puisqu’il permet d’importer des denrées à prix réduits. L’accord « UE-MERCOSUR » est un important accord de libre-échange entre l’Union Européenne et l’Argentine, le Paraguay, le Brésil et l’Uruguay.


Sources :

  • Accords de libre-échange | Confédération Paysanne (confederationpaysanne.fr)
  • Forte baisse baisse en 30 ans du nombre de fermes en Hainaut, mais elles sont plus grandes – rtbf.be
  • Déclassement, endettement, normes européennes… les raisons de la colère des agriculteurs français (france24.com)
  • Du Midi rouge au Midi brun : quand l’extrême droite noyaute la colère des agriculteurs | Mediapart
  • Mobilisation des agriculteurs : comment se porte l’agriculture biologique en Wallonie ? – rtbf.be
  • La stratégie de rachat des terres par Colruyt suscite la colère du monde agricole. Le distributeur réplique – La Libre
  • Une monumentale statue déboulonnée par des agriculteurs place du Luxembourg et jetée au feu : « À pleurer » – La Libre

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

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