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Histoire de l’antisémitisme : Les Pogroms

Histoire de l’antisémitisme : Les Pogroms

Pour l’Université Populaire de Bruxelles, la lutte contre l’antisémitisme mérite une réflexion plus sérieuse que les instrumentalisations politiques ou médiatiques qui sont faites du terme. Dans plusieurs articles (relayés sur la page Instagram @universitepopulairebx) nous reviendrons sur l’histoire de l’antisémitisme, en reliant ses expressions historiques et modernes.

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Chapitre I - Les Pogroms

Le terme « pogrom » provient du russe et signifie « détruire/démolir ». Le mot arrive en Europe de l’Ouest à la fin du 19e siècle, lorsqu’une vague de violence frappe les populations juives de l’Empire Russe.

Les juifves étaient déjà victimes de violences et de discrimination par le régime tsariste, notamment par l’interdiction quasi-totale de vivre en dehors de la « Zone de Résidence » ; les régions correspondant à l’ancienne Pologne-Lituanie. Mais en 1881, la communauté juive est accusée d’être responsable de l’assassinat du tsar Alexandre II, commis en réalité par une groupe de socialistes révolutionnaires. Cette rumeur est amplifiée par des fausses informations sur la judéité supposée des assassins, alors qu’il n’y a en réalité qu’une seule femme juive parmi eux.

Dans les villes de Kiev, Odessa, Balta, Varsovie, ou encore Ielizavetgrad, puis s’étendant dans la campagne environnante et les shtetls (villages juifs), ces pogroms font à minima plusieurs centaines de morts entre 1881 et 1884, et détruisent les maisons, commerces, et lieux de vie de la population juive. Ces massacres sont le plus souvent ignorés, voir encouragés, par les autorités locales, et par le nouveau Tsar Alexandre III qui promulgue les Lois de Mai en 1882. Cette série de lois restreint considérablement les maigres libertés des juifves de l’empire russe, et s’accompagne de la déportation de la petite communauté juive de Moscou vers la Zone de résidence.

Le plus proche conseiller du roi et fervent antisémite, Constantin Pobiedonostsev, aurait résumé ainsi l’objectif de ces mesures :
« qu’un tiers des Juifs russes émigrent, qu’un tiers accepte de se convertir, et que l’autre tiers périsse. »

Illustration du pogrom de Kiev, 1881 © Auteur inconnu, publié dans « The Penny Illustrated Paper » le 04/02/1882

Ces décisions du régime tsariste renforcent l’antisémitisme au sein de la population, qui y voit la confirmation des rumeurs ; « si les juifs ne sont pas coupables de l’assassinat du tsar, pourquoi son fils prend-il autant de mesures contre eux ? ».

Ainsi, les préjugés antisémites préexistants de la population sont amplifiés par l’antisémitisme étatique. Le mythe chrétien historique de « peuple déicide » accusant les juifs d’être collectivement responsables de l’assassinat du Christ se retrouve renouvelé sous la forme d’un mythe de « peuple régicide » accusant les juifs d’avoir tué le Tsar, un monarque de droit divin. [1] Paradoxalement, les juifs sont à la fois accusés d’être des révolutionnaires socialistes par les autorités conservatrices, et en même temps d’être des usuriers cupides par les populations pauvres ; mais les deux groupes s’accordent au moment de les persécuter. [2]

Les pogroms de 1881-1884 sont loin de constituer les premières ou les dernières persécutions violentes visant les communautés juives européennes. Mais elles sont historiquement significatives pour plusieurs raisons

  • Différentes communautés juives s’autoorganisent localement pour se défendre des pogroms, notamment à Odessa (qui avait déjà subi des pogroms en 1821, 1859, et 1871). Ces organisations d’autodéfense formeraient la base de la résistance juive contre les pogroms du début du 20e siècle, et ensuite contre l’occupation allemande en Europe de l’Est et contre la Shoah.
  • C’est à partir de 1881 que débute l’émigration massive de plus de 2 millions de juifves de l’empire Russe, émigration encouragée par le régime tsariste. La grande majorité s’installa aux Etats-Unis, mais d’autres s’installèrent au Royaume-Uni, en Argentine, au Canada, et certains même en Palestine (à l’époque sous contrôle Ottoman) lors de la « 1re Aliyah ». Cette émigration s’accélère lors des pogroms de 1903-1906, qui font environ 2000 morts.
  • Le 19e siècle, par la montée des nationalismes en Europe, avait vu l’indépendance d’états comme la Grèce, la Belgique, la Bulgarie, ou la Roumanie, et l’unification d’états comme l’Allemagne ou l’Italie. Dans ce contexte et face aux persécutions antisémites, la population juive d’Europe se pose elle aussi la question de l’identité nationale ; il en émerge deux projets politiques principaux :

D’un côté, le mouvement des Amants de Sion naît en 1881, qui pose les bases politiques du futur projet sioniste. Selon lui, face aux persécutions en Europe de l’Est, la seule solution serait l’immigration, et ce mouvement privilégie la Palestine comme destination du fait de ses liens avec la « Terre d’Israël » biblique. C’est en 1882 que s’organise, avec l’éphémère mouvement Bilu, la première « Aliyah », c’est-à-dire l’installation de juifves en Palestine pour y établir des colonies agricoles. A la différence de l’immigration juive en Palestine avant 1880, principalement religieuse, il y a pour la première fois une motivation politique et nationaliste. Ce mouvement obtient une existence légale en 1890 sous le nom de Société de soutien aux fermiers et artisans juifs de Syrie et de Palestine (ou Société d’Odessa), 7 ans avant le premier congrès sioniste à Bâle, qui établira les principes du projet colonial en Palestine.

Affiche électorale du Bund socialiste à Kiev, 1917 / « Là où nous vivons, voilà notre pays ! » « Votez pour la liste 9, Bund » "Une république démocratique ! Tous les droits nationaux et politiques pour les Juifs !"

De l’autre côté, le mouvement autonomiste juif lutte pour les droits des juifves dans la diaspora, et la reconnaissance légale du statut de minorité. S’opposant en même temps à l’assimilation et au sionisme, les organisations autonomistes veulent garder leur identité au sein des pays où ils vivent, plutôt que de « fuir » vers une terre lointaine. La plus influente de ces organisations est le Bund socialiste, un parti juif laïque fondé en 1897 à Vilnius, visant à unir le prolétariat juif de l’Empire Russe dans la lutte pour une Russie démocratique et socialiste dans laquelle les juifves (comme d’autres minorités) pourraient vivre librement. Le Bund est profondément antisioniste, et rejette même l’hébreu en faveur du yiddish, la langue d’usage courant des populations juives d’Europe de l’Est. Le concept de doikayt l’être ici » en yiddish) résume leur idéologie ; notre pays, c’est celui où nous vivons, et c’est ici que nous allons nous battre pour nos droits en tant que travailleurs juifs et travailleuses juives. Pour le Bund il n’y a pas de libération possible pour les juifs sans la libération de tous les opprimés, et c’est ainsi qu’ils forment la plus grande force de Russie occidentale (actuelle Pologne, Lituanie, et Biélorussie) lors de la révolution de 1905 contre le Tsar.

Malgré leur lutte au sein de l’armée polonaise et dans la résistance clandestine, les organisations juives autonomistes comme le Bund sont presque entièrement détruites lors de la Shoah, l’extermination systémique de près de 6 millions de Juifves par l’Allemagne nazie. A la fin de la guerre, la communauté juive survivante de Pologne continue à subir violences et répression, culminant en Juillet 1946 avec le pogrom de Kielce. Plus de 40 juifves, qui avaient survécu à la Shoah, sont tués par des soldats et civils polonais.

Dans ces conditions, il est difficile pour les bundistes survivants de défendre la coexistence. L’émigration apparaît comme la seule réponse possible, et le mouvement sioniste affirme que ses théories sont confirmées ; il serait impossible pour les juifves de vivre en sécurité autrement que dans un Etat juif, qui devrait se former en Palestine. Et tant pis si cela implique l’expulsion ou le massacre des Palestiniens non-juifs qui y habitent. Le Bund s’est opposé au vote de l’ONU pour la partition de la Palestine en 1947, et a condamné la création de l’Etat sioniste. Les Bundistes ayant émigré dans cet Etat (souvent pour des raisons familiales) se regroupent autour du Arbeter-ring in Yisroel, parti antisioniste qui continua à défendre les droits des Palestiniens et la langue yiddish.

L’histoire sanglante des pogroms en Europe de l’Est est l’élément déclencheur du sionisme en tant que mouvement politique. C’est pour cela que le mot « pogrom » est régulièrement invoqué par les défenseurs de l’Etat israélien, y compris abusivement pour désigner des évènements comme ceux d’Amsterdam le 7 Novembre 2024.

L’Université Populaire de Bruxelles lutte pour une Palestine libre de la mer au Jourdain, dans laquelle toute personne pourra vivre en paix et à égalité, peu importe sa religion, son ethnie, ou son identité. Nous luttons pour exactement la même chose ici en Belgique, là où nous vivons. Contre l’antisémitisme, contre l’islamophobie, contre toutes les formes de racisme et de discrimination, car il n’y a pas de libération possible pour nous sans la libération de toutes les personnes opprimés.

Banderole déployée devant le bâtiment Walid Daqqa par le mouvement étudiant © Université Populaire de Bruxelles

Cet article a été rédigé par les étudiant-es du mouvement de solidarité avec la Palestine « Université Populaire de Bruxelles », en collaboration avec plusieurs membres du collectif AJAB (Alliance Juive Antisioniste de Belgique). Il s’inscrit dans une série d’articles sur l’histoire de l’antisémitisme, en amont de conférences sur ce sujet dans l’année 2025. Car c’est en comprenant l’histoire de l’antisémitisme qu’on peut lutter efficacement contre l’antisémitisme aujourd’hui, et contre le racisme dans sa globalité.

Voir en ligne : Publication Instagram

Notes

[1Dans la marge d’un mémorandum demandant la réduction des pratiques répressives à l’égard des Juifs, Alexandre III indique par une note manuscrite : « Mais nous ne devons jamais oublier que les Juifs ont crucifié notre Seigneur et ont répandu son précieux sang »

[2Aronson, Michael. Geographical and Socioeconomic Factors in the 1881 Anti-Jewish Pogroms in Russia.

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Extrême-droite / Antifascisme

Au lieu de reconnaître la « Palestine », les pays devraient retirer leur reconnaissance à Israël

Joseph Massad, 30 mai 2024. Mardi, trois autres États européens ont officiellement reconnu un État palestinien non-existant. L’Irlande, l’Espagne et la Norvège sont les derniers à se joindre à plus de 140 autres membres des Nations Unies pour reconnaître cette entité fantôme. L’Autorité palestinienne, créée en 1993 pour aider Israël à réprimer la résistance palestinienne à la colonisation et à l’occupation israéliennes, s’est félicitée de l’expansion de ce club improbable. D’autres États européens comme la Belgique, Malte et la Slovénie ont également menacé d’emboîter le pas. Les Israéliens, qui refusent aux Palestiniens le droit à un État depuis 1948, ont réagi avec colère à cette décision largement symbolique. Cependant, comme je vais le montrer, la reconnaissance internationale d’un État palestinien fantôme a été l’une des principales façons par lesquelles les membres de l’ONU insistent, en violation des règlements de l’ONU, pour reconnaître le droit d’Israël à rester un État raciste et suprématiste juif. Nier l’indépendance palestinienne Peu de temps après l’occupation de la Palestine par les Britanniques à la fin de 1917, les Palestiniens ont exigé – et se sont vu refuser – leur indépendance. Mais ce n’est qu’en 1937 qu’une proposition refusant explicitement aux Palestiniens leur propre État fut avancée. La Commission Peel britannique a recommandé la partition de la Palestine entre les colons juifs et le jeune État de Transjordanie d’alors. Dirigée par Lord Robert Peel, la commission a en outre recommandé l’expulsion d’un quart de million de Palestiniens de la zone désignée comme État colonial juif et la confiscation pure et simple de leurs biens. Le reste de la Palestine et les Palestiniens seraient annexés à la Transjordanie. Le rapport Peel a été abandonné en raison de l’indignation des Palestiniens et des pays arabes. Ensuite, ce fut au tour de l’ONU, en 1947, de refuser aux Palestiniens l’indépendance dans toute la Palestine, du Jourdain à la mer Méditerranée. L’organisme international a rejeté le rapport minoritaire de son Comité spécial des Nations Unies sur la Palestine (UNSCOP). Il a adopté une résolution de partition visant à diviser le pays entre les colons juifs et les Palestiniens autochtones. En 1946, la population de la Palestine s’élevait à un peu moins de deux millions d’habitants, soit 1.972.000 habitants. Les Palestiniens représentaient près de 70 pour cent de la population, soit 1.364.000 personnes, tandis que 608.000 colons juifs constituaient le reste. La résolution 181 de l’AGNU, connue sous le nom de « Plan de partition », proposait deux États, dont chacun aurait eu une majorité palestinienne autochtone, tout comme Jérusalem, qui était censée relever de la juridiction de l’ONU. Selon le plan, la population de l’État palestinien serait composée de 818.000 Arabes palestiniens et de moins de 10.000 colons juifs, soit un pour cent de la population totale. L’État juif proposé...

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