stuut.info

La BD franco-belge face à son héritage colonial : Spirou et la Gorgone bleue retiré de la vente

La BD franco-belge face à son héritage colonial : Spirou et la Gorgone bleue retiré de la vente

Partout | sur https://stuut.info

Le 31 octobre, l’éditeur Dupuis a décidé de retirer l’album « Spirou et la Gorgone bleue » de ses points de vente après une vague de critiques dénonçant des stéréotypes racistes et sexistes. Scénarisée par Yann et illustrée par Dany, cette BD met en scène des personnages noirs aux traits caricaturaux, propre à l’héritage colonial.

Le créateur de contenu Seumboy a joué un rôle central dans cette prise de conscience. Dans une vidéo sur sa chaîne Histoires Crépues, il décrivait la représentation choquante de certains personnages noirs, dessinés avec des lèvres surdimensionnées, des mâchoires proéminentes et une peau très sombre. Certain·es ressemblaient à des singes, rappelant les caricatures racistes. Il dénonçait également la représentation des personnages féminins, réduits à des silhouettes hypersexualisées.

L’histoire de La Gorgone bleue suit Spirou et Fantasio dans une enquête contre des écoterroristes qui s’opposent à la malbouffe. Sur leur route, ils et elles croisent un porte-avion américain, l’USS Obama, dont tout l’équipage est noir. Le dessinateur Dany, en tentant d’expliquer cette « blague », évoque un jeu sur l’invisibilité du navire, jugée « furtive » parce qu’il serait peint en noir.

C’est suite aux mobilisations sur les réseaux sociaux que Dupuis a publié des excuses publiques, admettant une erreur d’appréciation. « Cet album s’inscrit dans un style caricatural hérité d’une autre époque », indique l’éditeur, soulignant la nécessité pour la BD de contribuer à une société plus inclusive. La maison a précisé que l’album avait déjà fait l’objet de modifications à la demande de l’équipe éditoriale. Dès lors, comment est-ce possible que l’album final fut validé par toute une équipe ?

Le dessinateur Dany a réagi à la polémique et ne semble pas comprendre le racisme : « J’aurais dû faire gaffe à ne pas dessiner les Noirs comme dans les années 1960 ou 1980, c’est sans doute vrai […], mais je voulais me rapprocher de l’univers de Spirou. Mon modèle absolu, c’est Franquin, c’est le genre de dessins qu’il faisait. J’en suis vraiment désolé et je voudrais présenter toutes mes excuses à ceux que j’aurais pu blesser, car c’est totalement involontaire. J’ai peut-être beaucoup de défauts, mais je ne suis pas raciste, ça, c’est certain. »

Pourtant les autres publications sur blog de Dany révèlent une vision raciste et sexiste omniprésente. Un autre dessin y dépeint deux personnages blancs, Olivier Rameau et son amie, face à un groupe de cinq personnes racisées, dans une mise en scène déshumanisante. « Ça ne va pas être facile de les intégrer, ces deux-là », soupire un protagoniste noir aux traits caricaturaux — visage aux airs de singe, grandes oreilles, bouche exagérée et « museau » brun —, illustrant une sorte de mise en abyme de la théorie du « grand remplacement », où la supposée minorité blanche serait victime de discrimination et voué à disparaitre pour être remplacé par des personnes racisées.

Ce type de représentation n’est pas isolé sur le blog de Dany, où d’autres dessins mettent en scène des femmes nues ou hypersexualisées, rappelant la tendance de Spirou et la Gorgone bleue à l’objectification des personnages féminins. Une planche en particulier, signée par Dany et Tibet, représente même un homme frappant une travailleuse du sexe.

Pour Seumboy, ce ne sont pas seulement les dessins qui sont problématiques, mais également les messages : « Quand on fait un tour sur le blog de Dany, on se rend bien compte qu’il ne s’agit pas d’une erreur de jeunesse, mais d’une prise de position politique dont il est coutumier. Le message qu’il essaye de délivrer, c’est que les personnes noires prennent trop de pouvoir aux États-Unis et que si l’on n’y prend pas garde, la société multiculturaliste américaine va arriver chez nous en Europe. »

En défense de ce passé raciste, Nicolas Thoreau, ancien candidat MR à Bruxelles, s’est exprimé sur la polémique de cette bande dessinée. Sur X, il a qualifié les accusations de « chasse aux sorcières » et dénoncé ce qu’il perçoit comme une « censure woke ». Une justification de la caricature, sans mentionner que, pourtant, le racisme est réprimé par la loi.

Cette affaire illustre un problème plus profond au sein de la BD franco-belge. Depuis les années 1930, des œuvres comme Tintin au Congo ou Spirou chez les Pygmées ont perpétué des images racistes, issues d’une esthétique coloniale donnant aux personnages noirs des traits indiscernables de ceux des primates et les campant dans des rôles secondaires de faire-valoir humoristiques, imbéciles et dociles. Émergent un certain nombre de figures types : le roi-chef de tribu,le sorcier ou le guerrier traditionnel, le soldat des troupes coloniales, le pygmée, le cannibale, le serviteur du Blanc et l’enfant noir. Dans Tintin au Congo, on suit le reporter déjouant les pièges d’une bande de gangsters qui cherchent à mettre la main sur la production de diamants au Congo. Cette bande dessinée est le reflet de l’esprit paternaliste de la Belgique colonialiste du début des années 1930. Tous les personnages noirs se ressemblent et semblent bêtes. Ces clichés se retrouvent encore dans des productions récentes, avec des auteurs contemporains, inspirés de figures comme Franquin, nostalgiques d’un passé colonial.

Pour l’écrivaine afroféministe Laura Nsafou, l’utilisation de tels stéréotypes révèle une forme de « paresse artistique ». « Là où on va chercher à diversifier les physiques des personnages blancs, les corps noirs restent uniformisés et réduits à des clichés racistes », déplore-t-elle.

Sources :

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Extrême-droite / Antifascisme

Complot des « Frères musulmans », la fabrication d’un ennemi intérieur

Depuis la publication d’un rapport français alarmiste aux relents complotistes sur les Frères musulmans*, une série d’articles sensationnalistes accusent la Belgique, et notamment Bruxelles, d’être un “carrefour européen” de la mouvance frériste. Plus récemment encore, le MR a annoncé vouloir lancer un « rapport fédéral » sur l’influence supposée des Frères musulmans en Belgique, reprenant ainsi à son compte les termes et l’imaginaire du rapport raciste français. Dans ce rapport, cinq communes de la capitale sont par exemple, désignées comme « sous contrôle islamiste« . Le terme d’ »entrisme » est brandi à tout-va, et les médias multiplient les titres alarmistes sur une supposée infiltration de la société par les « Frères musulmans« *. Des titres comme “Des écoles belges sous l’emprise des Frères musulmans” ou encore “L’entrisme musulman : une menace à combattre partout” sont sortis dans la presse. Plusieurs personnages politiques belges, à l’instar de Denis Ducarme (MR), n’ont pas tardé à affirmer que les Frères musulmans avaient infiltré la Chambre, citant sans preuve des groupes comme Ecolo-Groen. Denis Ducarme (MR). Pourtant, à y regarder de plus près, cette soi-disant “alerte sécuritaire” relève moins d’une analyse scientifique rigoureuse que d’un recyclage de peurs islamophobes et racistes profondément enracinées dans l’Histoire européenne. Un rapport contestable, aux méthodes plus que discutables Le rapport français qui a provoqué cette panique est présenté comme une étude rigoureuse sur « l’influence » des Frères musulmans en Europe. Pourtant, comme le souligne Franck Frégosi, directeur de recherches au CNRS, l’approche est clairement biaisée et alarmiste, employant un vocabulaire conspirationniste plutôt qu’analytique. Plusieurs sociologues et scientifiques, comme Vincent Geisser, ont refusé de participer au projet, directement commandé par l’Etat français.  » « La conclusion était donnée avant même que le rapport soit conduit. » Le politologue Michaël Privot , dénonce la pauvreté méthodologique du rapport : « L’analyse est complètement à côté de la plaque », affirme-t-il, ajoutant que certains passages « répercutent des éléments conspirationnistes » qui sont également entretenus par certains cercles politiques belges. Le rapport, censé documenter des faits, s’appuie en réalité sur des hypothèses invérifiées, des suppositions, et des citations de certains « experts » et sociologues très engagés politiquement, et connus pour leurs positions anti-Islam, voire islamophobes. Le vocabulaire employé (« califat mondial », « infiltration », « dissolution des valeurs occidentales ») relève clairement du conspirationnisme, davantage que de l’analyse scientifique. L’écriture de ce rapport, et son manque total de rigueur scientifique, démontre une nouvelle fois l’islamophobie présente en France et en Belgique. L’impressionnante couverture médiatique est, elle aussi, inquiétante : des « expert·es« , des politiques et...

Bruxelles Bruxelles |
Extrême-droite / Antifascisme

Festival Résistance, des centaines de personnes pour célébrer la résistance du peuple Palestiniens’ensuit une polémique d’extrême droite

Du vendredi 6 juin au dimanche 8 juin, s’est déroulé le Resistance Festival à Saint-Gilles, à Bruxelles. De nombreuses personnes étaient au rendez-vous et l’événement fut « un succès« , selon les organisateur·ices. Cette édition, portée par une coalition d’une vingtaine de collectifs, associations et ASBL, fait désormais l’objet d’attaques diffamantes et calomnieuses, menées par certains acteurs de la droite et l’extrême droite belge ainsi que des milieux pro-israéliens, et malheureusement, relayées par une partie de la gauche. Suite à la polémique d’extrême droite, le bourgmestre de St-Gilles, Jean Spinette (PS) a annoncé sa volonté d’interdire l’évènement l’année prochaine. Le parquet a quant à lui annoncé ne pas avoir ouvert d’enquête pour le moment. 3 jours de partage et d’apprentissage collectif autour des luttes de libération populaires Organisé pour la 3e année consécutive, le Festival Resistance – tout en ayant un focus sur la Palestine – propose de célébrer les luttes de libération populaire de par le monde, de les honorer ainsi que d’apprendre collectivement à leur sujet. Le festival comprenait des activités très diverses : des discussions politiques, ateliers, tournoi sportif, diffusion de films, village militant, représentations musicales, théâtrales ou encore poétiques, interventions politiques, etc. La soirée du 6 juin marquait l’ouverture du festival, avec deux projections. Premièrement, le court-métrage Behind the Lines, réalisé par Fanny Arnulf et Youssef Haider, un documentaire qui explore les pratiques artistiques et de résistance au travers du parcours de 14 artistes vivant dans des camps de réfugié·es palestinien·nes au Liban ainsi que dans des favélas au Brésil. Ensuite, le film The Dupes, l’adaptation cinématographique de la nouvelle Men in the Sun de l’intellectuel et résistant palestinien Ghassan Kanafani. Les projections au Pianofabriek, ont été suivies d’une discussion avec un panel constitué de Fanny Arnulf et Yousseh Haider, ainsi que de Reem Shilleh et Hazem Jamjoum. Palestinienne, Reem Shilleh est chercheuse, réalisatrice et commissaire d’exposition ; elle vit entre Bruxelles et Ramallah. Hazem Jamjoum est quant à lui chercheur et auteur, traducteur de Ghassan Kanafani. « La journée du samedi 7 juin était organisée sur la place de Bethléem, à Saint-Gilles. De 15 à 22h, après le tournoi de foot matinal et malgré une météo instable, la foule était au rendez-vous, famille du quartier, collectifs, étudiant·es se sont réuni·es pour s’informer auprès du village militant et partager un moment festif et conscient autour des représentations artistiques qui se sont succédées au cours de l’après-midi » ont expliqué les organisateur·ices dans un communiqué. L’après-midi et la soirée ont été l’espace de diverses interventions politiques (OSVP, collectif Justice pour Imad, Samidoun, etc.), ainsi que d’autres interventions artistiques et poétiques (Asma Soulista, Ryaam, Raj’een, Hussein Abu Shammala, DJ (...)

Bruxelles Bruxelles |
Racismes / Colonialismes

Patrice Émery Lumumba (1925-1961) : Honneur et Respect

Patrice Émery Lumumba (1925-1961) : Honneur et Respect Patrice Emery Lumumba (né le 2 juillet 1925) aura été une étoile filante dans le ciel de l’Afrique à peine indépendante. Élu Premier ministre en 1960, destitué quatre mois plus tard, il est assassiné le 17 janvier 1961, suite à un complot mêlant la puissance coloniale belge, la CIA et les services secrets français. Ce que toutes ces puissances ne lui pardonnaient pas, c’était de vouloir rompre avec le colonialisme qui, au Congo, fut particulièrement féroce. Patrice Lumumba a scellé son destin le jour même de l’Indépendance, par son discours, non prévu. En disant la vérité du colonialisme, il se condamnait à mort. Discours du 30 Juin 1960, jour de l’indépendance du Congo Le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo, le Palais de la Nation à Léopoldville (l’actuelle Kinshasa) reçoit les membres de la famille royale belge dont le roi Baudoin 1er, des représentants du gouvernement belge, des administrateurs coloniaux, le parlement congolais, la presse internationale pour célébrer cette nouvelle ère pour le Congo. L’évènement est radiodiffusé dans tout le pays et couvert par la presse internationale. La foule s’amasse devant le Palais de la Nation pour assister à un évènement historique. Le protocole voulait que le roi Baudoin puis le président Kasavubu fassent un discours pour l’indépendance du Congo mais le Premier ministre Lumumba élu par le parlement ne l’entendit pas de cette oreille. Le discours du roi des Belges, Baudoin 1er, fut un discours de légitimation de la colonisation, une véritable apologie de l’œuvre du roi Léopold II. « L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique ». Il sonnait aux oreilles des nationalistes congolais comme une insulte à la mémoire des millions de morts générés par la politique monstrueuse du roi Lépold II, grand-oncle du roi Baudoin. « Pour caractériser le colonialisme léopoldien, les sources les plus diverses utilisaient les notions et les concepts les plus évocateurs pour l’époque, curse (« malédiction »), slave state (« Etat esclavagiste »), rubber slavery (« esclavage du caoutchouc »), crime, pillage…Aujourd’hui on n’hésite plus à parler de génocide et d’holocauste » (Elikia M’Bokolo, Le livre noir du colonialisme. XVIè-XXIè siècle : de l’extermination à la repentance, p.434). On peut d’ailleurs pour évaluer l’ampleur de la monstruosité coloniale au Congo sous Léopold II consulter de nombreuses références*. Un documentaire britannique intitulé « Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire » réalisé par Mark Dummett et produit par la BBC a suscité les foudres de la maison royale et du ministre des affaires étrangères Louis Michel lors de sa diffusion sur la RTBF le 8 avril 2004. Le passage incriminé était un commentaire faisant le parallèle entre la colonisation de Léopold II et...

Partout Partout |

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info