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Pour No

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Je fais un burn out. Mon taff, c’est d’accompagner des queers dans des galères : rupture familiale, discriminations, refus de soins, violences sexuelles. Je cours partout, je m’épuise, j’écoute, j’essaie de prendre soin. Je ne pose pas assez de limites. Al y a tant à faire et j’ai si peu de pouvoir.

Et surtout, je gère coup sur coup plusieurs situations urgentes où les personnes que j’accompagne font appel à moi, puis rejettent toutes les pistes proposées. À l’aide, mais ne m’aide pas.

Je suis fatigué. Je perds le sens de ce que je fais. À quoi bon ? J’ai l’impression que rien ne bouge et que toutes mes interventions sont des échecs. Je me demande à quoi je sers, si mon taff est utile. Si je suis utile, moi.

Je fais une pause, j’arrive sur un événement pédé·e. Et j’apprends la mort de No.

Sa mort est d’abord absurde. Mais toutes les morts sont absurdes, non ? Je suis surpris et en fait non. Je ne comprends pas, j’ai envie de comprendre pourquoi mais est-ce que c’est possible ?

Quand j’apprends sa mort mon regard se pose sur ma main droite. Ma main, tatouée par sa main à elle. Une main vivante marquée par une main qui ne l’est plus. No est morte, mais moi je ne pourrai jamais l’oublier parce qu’elle est là jusqu’à ma mort à moi. Est-elle vraiment morte si une partie de sa trace vit encore ?

Je m’attends toujours à ce qu’on m’annonce un décès. Celui d’un· de mes suivi·es, qui sont toustes plus ou moins suicidaires. Je vis avec la conviction que ça doit arriver, que ça arrivera. Est-ce que je peux toujours leur tendre la main, pour les maintenir en vie, alors qu’une de plus d’entre nous est morte ?

Je ne sais pas de quoi No est morte. Peut-être que c’est un suicide. Peut-être que son corps a lâché face à une trop grosse dose de somnifères.

Je sais de quoi No est morte. Du sexisme, des violences subies enfant, adulte, des cassages de gueule, de la pauvreté, du système de soins maltraitants, de la prise en charge merdique des traumas, des violences communautaires, d’épuisement. De lassitude face à tout ça.

Je pourrais dire que No était ma tatoueuse et que je ne l’ai vue que deux fois. C’est vrai.

Je pourrais aussi dire qu’on a parlé des heures, qu’on s’est confié des choses, qu’on s’est fait confiance.

No est une des seules à m’avoir accueilli quand la communauté queer que je connaissais m’avait lâché et harcelé. Elle savait, elle connaissait les rumeurs et elle m’a accueilli quand même. Parce qu’elle avait été lâchée aussi.

Je me souviens de sa petite chambre de bonne, de son café trop amer tout droit sorti d’une cafetière italienne indatable. De son matos son qui occupait une bonne partie de l’espace. De ses blagues. De son tremblement essentiel qui ne l’empêchait pas de tatouer. De sa 8,6 emballée dans du cello parce qu’on déconne pas avec l’hygiène. Du soin qu’elle a pris à me faire mal, du bien que ça m’a fait.

De la trace de tout ça qui reste sur mon bras alors qu’elle est partie.

Je ne sais toujours pas ce que prendre soin veut dire alors que c’est mon métier. Je ne crois pas qu’écouter les gens une heure par semaine dans un bureau puisse suffire.

Je crois que nous avons besoin d’une vraie communauté solidaire qui aujourd’hui n’existe pas vraiment. Je vois tous les jours les laissé·es de côté, les exclu·es, les pas assez cools, les trop prolos, les zinzin·es et les chelou·es.

Je crois que nous sommes bien peu de choses face à la violence du monde. Parfois, je crois qu’il n’y a plus d’espoir.

Je ne sais pas pourquoi moi, j’ai survécu. Je ne sais pas vraiment comment ni pourquoi.

Pourtant elle se battait aussi.

À la fin de notre dernière séance, douloureux, ensanglanté et shooté aux endorphines, No a préparé de l’essuietout, du désinfectant.

« Voilà, c’est fini. Maintenant, laisse-moi nettoyer et prendre soin de toi. Moi, je ne sais pas laisser les autres faire ça. »

Eliot

Voir en ligne : https://pdlarevue.wordpress.com/2024/09/12/pour-no

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DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

27 novembre - 10h00 - Bruxelles

Prendre soin de nos corps en lutte – outils et pratiques somatiques

Les questions autour des pratiques du soin sont aujourd’hui centrales dans la majorité des collectifs du réseau Mycélium. Militer est un acte qui nous expose, nous éprouve, nous confronte aux violences de la société. Quand et comment prenons-nous le temps pour nous déposer ? De calmer notre système nerveux, de respirer ? Que peut-on faire avec son corps pour aller mieux ? Face au sentiment d’urgence ou d’impuissance, face aux violences subies et à l’épuisement qui guette bon nombre d’entre nous, prendre le temps de prendre soin est essentiel pour nos équilibres et pérenniser nos luttes. Il existe souvent une polarité entre les mondes associatifs et militants, et les mondes du soin. Comment amener des ressources somatiques dans les lieux en lutte ? Comment politiser et relier ces espaces ? Prendre soin, c’est à la fois comprendre les systèmes d’oppressions qui nous entourent, comprendre les dynamiques de pouvoir internes et externes, apprendre à envisager le conflit comme un symptôme qui nous permet d’apprendre tout en écoutant nos besoins. C’est politiser nos vécus individuels, et mettre en place des pratiques d’écoute, de soutien, et de présence. Ce sera l’axe de ces deux jours : il est politique d’apprendre à écouter nos corps et prendre soin de nous. C’est donc pour s’offrir des outils de ressources somatiques accessibles à toustes que Mycélium organise deux jours de travail somatique, autour de techniques de respirations, de médiation, de retour à soi, de connexion à ses sensations, etc. L’objectif étant de nous outiller, de nous sentir mieux, d’offrir un accès aux ressources que l’on possède et accessibles à tout le monde. Pour s’inscrire : https://cloud.mycelium.cc/apps/forms/s/pjQWNq7oGzsPiT2bgGCjopmJ Venez avec des vêtements confortables et de quoi prendre note. Participation libre et consciente individuelle (prix conseillé : 75 euros pour les deux jours) Participation consciente via organisation (prix conseillé 150 euros pour les deux jours) L’argent ne doit en aucun cas être un frein à votre participation, si tel est le cas n’hésitez pas à nous contacter. Intervenant·es : Lise Mernier (chargée de projets chez Corps écrits, thérapeute en psycho-corporel et facilitatrice en intelligence collective ) et Jean Berrewaerts (Facilitateur en intelligence collective, facilitateur pour Mycélium autour des pratiques de soin dans les collectifs et thérapeute en psycho-corporel) .

Bruxelles Bruxelles | Santé / Soins |

4 décembre - 18h30 - cinéma Vendôme

[projection] À NOTRE SANTÉ

À NOTRE SANTÉ Tama­ra Pier­no, Veró­ni­ca Ortiz, Mari­nette Mor­mont, Soraya Soussi Face aux vio­lences médi­cales, Vic­to­riae, Sarah et Sophie s’évertuent à faire bou­ger les lignes. Actions com­mu­nau­taires, ate­liers d’autodéfense ou dénon­cia­tion des dis­cri­mi­na­tions : elles explorent d’autres manières de prendre soin et luttent en faveur d’une san­té glo­bale, res­pec­tueuse et inclu­sive pour toutes les femmes*. Dans le sillage de Pas sans elles, pre­mier film de ce groupe de réa­li­sa­trices, A notre san­té (54 minutes) pro­pose d’accueillir les récits de ces femmes qui subissent ces vio­lences de plein fouet en rai­son de leur poids, leur cou­leur de peau, leur iden­ti­té de genre ou encore des stig­mates asso­ciés aux per­sonnes sans chez-soi ou usa­gères de sub­stances psy­cho-actives. Ce film est une invi­ta­tion à nous unir dans le com­bat pour le droit à la san­té pour toutes* et à par­ti­ci­per à la quête de pra­tiques de soins alternatives. Le film est dis­po­nible en fran­çais avec sous-titres sourds et mal­en­ten­dants (SME) Avant pre­mière : Jeu­di 4 décembre 2025 à 18h30 au ciné­ma Ven­dôme — chaus­sée de Wavre 18, 1050 Bruxelles (réser­va­tion souhaitée) Entrée prix libre le film sera éga­le­ment pro­je­té au Centre Cultu­rel de Jette le 30/01/26 à 13h30 et à 19h, sui­vi d’un échange avec les pro­ta­go­nistes du film. Pour orga­ni­ser une pro­jec­tion, vous pou­vez adres­ser une demande à l’a­dresse diffusion@zintv.org Réa­li­sa­trices : Tama­ra Pier­no, Veró­ni­ca Ortiz, Mari­nette Mor­mont, Soraya Soussi Avec la par­ti­ci­pa­tion de : Sarah Tshin­gu­ta Mus­senge, Sophie Godenne, Vic­to­riæ Pildaer Image : Tama­ra Pier­no, Veró­ni­ca Ortiz Son : Tama­ra Pier­no, Veró­ni­ca Ortiz, Mari­nette Mor­mont, Soraya Soussi Mon­tage : Nina Alexan­dra­ki, Valen­tin Fayet Mon­tage son et Mixage : Lola Ciosek Musique : Tho­mas Michel Eta­lon­nage : Arshia Davari Une pro­duc­tion ZIN TV Avec le sou­tien du Centre du Ciné­ma et de l’Audiovisuel de la Fédé­ra­tion Wallonie-Bruxelles

Bruxelles Bruxelles | Santé / Soins |

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