stuut.info

RIP Taylor – La rage est notre arme

RIP Taylor – La rage est notre arme

Ce texte est une traduction d’une déclaration et appel à action en ligne, écrit initialement en anglais et diffusé en juillet 2022, suite au décès de Taylor dans une prison du Royaume-Uni. Un an après, nous pensons qu’il est toujours temps de le diffuser, pour honorer la mémoire de Taylor, faire connaître sa vie et ses luttes ainsi que la situation des prisonnier-e-s trans et de celleux enfermé-e-s sous le régime IPP.

Ailleurs | sur https://stuut.info

Texte initialement publié en anglais par l’ABC [1] de Bristol [2], le 13 juillet 2022.

Avertissement

Contenu sensible : suicide (contenu explicite), prison, violence, automutilation, abus, homophobie, transphobie.

Traductions de cette déclaration

Toute notre reconnaissance va aux camarades de par le monde qui ont traduit cette déclaration :

• Castelán : https://distripolaris.noblogs.org/post/2022/07/21/nova-edicion-zine-en-memoria-de-taylor-preso-trans-morto-en-prision-en-reino-unido/
• Galego : https://distripolaris.noblogs.org/files/2022/07/Taylor-memorial-galego.pdf
• Deutsch : https://www.abc-wien.net/?p=12004
• русский : https://avtonom.org/freenews/achk-bristol-rip-teylor-yarost-nashe-oruzhie

Renseignements concernant les funérailles

• Pour des raisons de sécurité, le détail des funérailles n’est pas diffusé publiquement. Cependant, nous invitons toute personne ayant connu Taylor et désirant assister à ses funérailles à se joindre à nous pour célébrer sa vie. Envoyez un message à Anti-Carceral Solidarity sur twitter ou instagram pour recevoir les infos concernant la date/l’heure/l’endroit [3].
• Cagnotte pour les funérailles : https://www.gofundme.com/f/taylors-birthday-top-surgery-fund

Déclaration

Taylor est mort. Il a été déclaré mort en prison le samedi 9 juillet à 22h33, après s’être tranché la gorge. Il était sensé faire l’objet d’une surveillance spécifique pour risque suicidaire, mais la prison l’a laissé tombé. Nous avons été informé-e-s de sa mort par le directeur de la prison dimanche à 3h30 du matin. La police a mis sa cellule sous scellés et nous attendons les résultats de son autopsie. Nous communiquerons les détails concernant ses funérailles dans les jours et semaines à venir.

L’histoire de Taylor est une histoire pleine d’abus, d’injustices, de transphobie et de tragédie. Il n’y avait aucune raison qu’il en soit ainsi. Il a été assassiné par l’État. Sa mort devrait déclencher partout résistance et rébellion – aussi bien l’intérieur qu’à l’extérieur des prisons. Nous n’attendons rien de l’enquête, ni d’une quelconque justice de la part de l’État. Ceci est un appel aux abolitionnistes [4] et aux anarchistes partout dans le monde à prendre les armes.

Avec la rage dans nos veines et l’amour dans nos cœurs, jusqu’à ce que chaque prison soit réduite en cendres. Taylor, tu étais le meilleur d’entre nous. Tu manqueras à jamais à notre famille queer. Tu ne seras jamais oublié et l’État ne sera jamais pardonné.

Qui est Taylor ?

Taylor était un prisonnier trans, enfermé depuis plus de 14 ans par le système pénitentiaire du Royaume-Uni. Il était un prisonnier condamné sous le régime de l’IPP [5] et il avait déjà purgé 10 années de plus que sa peine initiale. Il était un ami adoré par ses camarades anarchistes qui l’avaient rencontré en prison. Il avait ACAB tatoué sur les articulations de sa main et un esprit anti-autoritaire et un amour profond pour les animaux. Il était un prisonnier old school issu de la classe ouvrière, qui savait quel était son bord. Il détestait le système de tout son être.

Taylor était un des premiers prisonnier-e-s membre de l’IWW [6] via le Incarcerated Workers Organising Committee [7] fondé en 2015 en Angleterre, au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande. Il était aussi actif dans la campagne Smash IPP [8], contribuant à la newsletter et encourageant d’autres prisonnier-e-s IPP à rejoindre le groupe.

IPP = condamnation à mort

L’IPP est un type de condamnation introduit en 2005 signifiant que les gens sont condamnés à un premier tariff [9] de base et, qu’ensuite, leur libération est décidée par un tribunal d’application des peines [10]. Cela signifie que les prisonnier-e-s IPP n’ont PAS de date de libération précise.

Dans les faits, il s’agit d’une condamnation à vie pour crimes mineurs. Après une pression publique massive, les condamnations IPP ont été abolies en 2012, mais pas rétrospectivement – ce qui signifie qu’il y a encore aujourd’hui 3500 personnes incarcérées qui ont été condamnées sous le régime IPP, et qui n’ont donc pas de date de libération claire. Cette incertitude est un enfer à vivre. Ce système de condamnation a pour conséquence de classer le Royaume-Uni parmi les pays ayant le taux de suicides de prisonnier-e-s le plus élevé au monde.

Au moins 243 prisonnier-e-s IPP du Royaume-Uni sont morts en prison, dont 72 d’entre elleux ayant mis fin à leur jours.

Pour Taylor, l’IPP était une condamnation à mort. Il avait été condamné à 4 ans pour cambriolage, mais en avait fait 14 au moment de sa mort. Cet enfermement prolongé, sans date de fin, a complètement détruit la santé mentale de Taylor. Il avait fait de multiples tentatives de suicide – en essayant entre autre de se trancher la gorge ou par overdose, ce qui l’a mené deux fois dans le coma. Ça a fini par le tuer.

Pas de date de fin

L’IPP fonctionne de la manière suivante : le/la prisonnier-e doit d’abord purger une première peine minimale, le tariff, après laquelle iel doit passer devant un tribunal d’application des peines. Ce tribunal décide soit de libérer ce/cette prisonnier-e, soit préconise, par exemple, un enfermement dans une prison « ouverte » (pour les prisonnier-e-s de catégorie D [11]), un internement en psychiatrie ou une cure de désintoxication. Le tribunal peut aussi décider qu’un-e prisonnier-e doit rester plus longtemps en prison, et faire des recommandations – comme de préconiser une formation que le/la prisonnier-e devrait suivre. Le tribunal d’application des peines transmet des rapports avec ses recommandations [12], et les prisonnier-e-s sont aussi souvent soumis-e-s à diverses évaluations des risques et expertises psychologiques.

À chaque passage devant le tribunal d’application des peines, de nouveaux obstacles peuvent apparaître, que le/la prisonnier-e devra alors traverser. Par exemple, un-e prisonnier-e peut faire tout ce que le tribunal d’application des peines demande et puis, deux ans plus tard, au prochain passage devant le tribunal, on pourra lui dire : « Vous devez encore vous occuper de ce comportement X et par conséquent suivre la formation Y ». Ceci mène à un processus d’enfermement continu, au cours duquel les objectifs fixés sont constamment déplacés. L’incertitude, la frustration et l’impuissance conduisent à une détérioration du comportement du/de la prisonnier-e – qu’il s’agisse d’une augmentation de le consommation de drogue, d’automutilation ou d’agressivité en réaction de protestation.

Ce comportement est ensuite utilisé comme justification pour prolonger l’emprisonnement, parce que la personne n’est pas considérée « comme sans danger » pour la communauté, ou ne s’est pas occupée de ses « comportements problématiques ». Et le cycle continue.

Nous avons durant 14 années récolté et documenté les preuves des multiples audiences de libération conditionnelle rendues impossibles, et d’autres défaillances de la prison. Les tendances suicidaires de Taylor étaient la raison pour laquelle il était gardé en prison – et pourtant c’est la prison qui provoquait ces tendances suicidaires. Il y a des limites à ce que peut endurer un être humain. La mort est devenue la seule option pour Taylor, toutes les voies légales vers la liberté lui ayant été fermées à répétition.

Transphobie : pathologisé, hospitalisé et emprisonné

En 2018, Taylor a donné son consentement pour que des éléments de son histoire personnelle soient partagés, afin d’aider à faire connaître le sort des prisonnier-e-s trans et les conséquences de la pathologisation des personnes trans par le système médical.

En grandissant, Taylor a été soumis à des années d’abus physiques, sexuels et psychologiques de la part de sa mère et de son beau-père. Jeune adolescent, il réussit à s’enfuir et à se faire adopter par ses grand-parents. Cependant, il retournait souvent rendre visite à sa famille, dans une quête désespérée d’amour et de validation – mais il ne reçu ni l’un ni l’autre en retour. Ce schéma traumatique profond l’a suivi depuis toujours. Malheureusement, pendant qu’il purgeait sa peine, ses deux parents adoptifs sont décédés et il a donc perdu son principal cercle de soutien. Ce deuil fut pour lui insurmontable et impossible à guérir, étant enfermé dans une cellule et dans l’incapacité d’aller se recueillir sur leurs tombes ou de faire pleinement son deuil. Nous savons qu’il est avec elleux maintenant.

Taylor a toujours su qu’il était un homme. Lorsqu’il était jeune adolescent, il s’est rendu chez le médecin du coin et il a partagé avec lui son ressenti concernant le genre qui lui était assigné, et les questions que ça lui posait. Le médecin a pathologisé Taylor en tant qu’« instable » et lui a refusé l’accès à un traitement hormonal ou à une chirurgie. C’était il y a plus de 30 ans, et l’accès à des hormones en ligne ou autres groupes de soutien était pour ainsi dire impossible. Avant la prison, Taylor n’avait jamais rencontré d’autre personne trans.

Cette combinaison d’abus vécus durant l’enfance et de la dysphorie de genre a conduit à un abus de drogues et d’alcool, ainsi qu’à un schéma d’automutilation bien ancré. Taylor est devenu toxicomane et, en tant que personne issue de la classe ouvrière sans moyens financiers, le « crime » était la seule option pour entretenir son addiction. Ceci mena Taylor à une vie très auto-destructrice, incluant de très nombreuses relations abusives et des actes qu’il regrettait profondément. Taylor a fréquenté de nombreux services de santé mentale, mais aucun d’entre eux n’a validé l’identité de genre ou les besoins de Taylor, et il a été pathologisé, hospitalisé et emprisonné à répétition.

Dans les conclusions du procès où il a été condamné à une peine IPP, le juge a reconnu que c’était « les problèmes de genre » de Taylor qui avaient mené à son emprisonnement.

Taylor a vécu des abus transphobes en prison – de la part d’agent-e-s pénitentiaires ou d’autres prisonnier-e-s. Une fois, dans la cour, il a été attaqué par une fille de son aile. Heureusement, notre Taylor était un combattant et s’est défendu. En réaction, il lui a craché dessus et lui a dit : « Here’s some of my gender fluid » [13].

Tout au long de sa peine, il fut pris pour cible par les agent-e-s pénitentiaires qui l’insultaient, utilisaient son deadname [14] ou le mégenraient [15] constamment afin de l’irriter et d’essayer de le provoquer pour le faire réagir, et de cette manière saboter sa libération conditionnelle.

Lorsque Taylor a été admis en hôpital psychiatrique après une série de tentatives de suicide, un psychiatre lui a été attribué. Pendant les consultations, Taylor était déshumanisé à répétition et encouragé à se percevoir comme femme. On lui disait que les relations étaient au cœur de ses « problèmes de comportement » et on le décourageait d’être avec des femmes ou dans une quelconque forme de relation. Durant cette intense période de vulnérabilité, Taylor pensait que la seule manière d’arriver à être un jour libéré de prison était de prétendre être une femme et de ne pas avoir de relations romantiques avec des femmes.

Heureusement, une fois qu’il a quitté l’hôpital et arrêté ces consultations, il a réalisé à quel point cet acte horrible était de la violence transphobe institutionnelle. Une violence dont les personnes trans du monde entier font l’expérience, en étant pathologisé-e-s par les institutions psychiatriques.

Taylor était épaté par les lettres et cartes postales qu’il recevait de la communauté trans. Malgré les efforts répétés de la prison pour l’empêcher d’obtenir un binder [16] – en prétextant qu’ils n’arrivaient soi-disant pas à savoir si les binder envoyés étaient « pour le haut ou pour le bas » et en refusant de les transmettre, Taylor a finalement pu ressentir l’euphorie de rendre son torse plus en accord avec son genre. Il parlait avec enthousiasme de la chirurgie du torse [17] qu’il se ferait faire lorsqu’il serait sorti, de comment il irait courir sur la plage à moitié nu et nagerait dans la mer. Maintenant, il n’aura plus jamais cette chance.

Homophobie en prison

Avoir des relations affectives a été constamment considéré comme un « facteur de risque » pour Taylor, et son attirance pour les femmes a été pathologisée et criminalisée de manière continue en prison. Au cours des 14 années durant lesquelles il a été derrière les barreaux, il a été séparé de nombreuses personnes qu’il a aimées, entre autre d’une personne avec qui il avait une relation à long terme qui a duré plus de 6 ans. Il a été violemment séparé de cette personne et l’administration pénitentiaire les a intentionnellement maintenu séparé-e-s, ne leur permettant jamais de se rencontrer – et ce jusqu’il y a quelques années.

En prison, les relations physiques sont réprimées : vous pouvez être puni-e d’un changement de statut IEP [18] (ce qui peut mener à différent types d’isolement ou de mitard). Ceci est arrivé de nombreuses fois à Taylor, tout au long de sa peine. Le contrôle permanent des agent-e-s et la séparation d’avec les personnes à qui il tenait ont aussi contribué à détruire la volonté de vivre de Taylor.

Si Taylor avait pu obtenir une libération conditionnelle lors de son prochain passage devant le tribunal d’application des peines, une des conditions aurait été qu’il s’abstienne de toute relation romantique et intime. Même son avocat-e a dit qu’il devrait se soumettre à cette condition – bien que nous savons toustes que la proximité avec d’autres êtres humains est profondément nécessaire à la survie. Nous avons souvent parlé avec Taylor de la manière dont l’État agissait comme un-e partenaire abusif et contrôlant. Il se sentait impuissant à le braver.

Durant la dernière semaine de sa vie, Taylor a reçu un avertissement pour avoir embrassé un-e autre prisonnier-e. C’est un des événements déclencheurs qui ont mené à sa mort.

HMP Eastwood Park trou de l’enfer

HMP [19] Eastwood Park est une « prison pour femmes » à Gloucestershire, pas loin de Bristol. Régulièrement, des histoires horribles ont lieu entre ses murs : au cours du mois dernier, 3 prisonnier-e-s y sont mort-e-s. Une femme, Kayleigh, est morte deux jours avant Taylor, dans la même aile que lui.

Les personnes sont régulièrement attaquées violemment par les agent-e-s pénitentiaires, et les abus sexuels sont très courants. Lors d’une récente visite à Taylor, il a raconté comment des femmes ont été forcées de pratiquer du sexe oral sur des agents en échange de drogues rapportées de l’extérieur.

Taylor était si près de la liberté, et HMP Eastwood Park lui a tout pris. Ce qui a déclenché sa dernière spirale de tentatives de suicide était complètement évitable. Il avait enfin reçu son ROTLs [20] lui permettant de quitter la prison durant un jour avec un agent, comme manière de « progresser vers sa libération » et de prouver au tribunal d’application des peines qu’il était sans danger.

Le 20 mai, Taylor était au Cabot Circus [21] à Bristol, lorsque l’agente pénitentiaire responsable de sa surveillance l’a abandonné. Taylor a essayé de la retrouver, mais il n’a pas réussi. Il n’avait ni téléphone ni aucun autre moyen de la trouver, bien qu’il l’ait cherchée sans cesse à travers toute la ville. Taylor a finalement réussi a prévenir la prison. Plutôt que d’assumer la responsabilité d’avoir perdu Taylor, l’agente qui escortait Taylor à Bristol a menti et a prétendu qu’il avait fait exprès de disparaître pendant plusieurs heures.

Taylor s’est mis en colère et a renversé une plante à l’accueil. Les agent-e-s pénitentiaires l’ont alors attaqué. Iels l’ont salement battu et l’ont traîné dans une nouvelle cellule où il n’avait aucune de ses affaires personnelles. Nous avons vu Taylor quelques jours après, et nous pouvions bien voir qu’il était couvert d’hématomes. Taylor était en attente d’une opération pour une hernie, et être ainsi « plié » par les agent-e-s était un acte de violence mortellement dangereux.

Une action d’alerte a été lancée et 544 personnes ont écrit à la prison, les prévenant que les proches de Taylor étaient sérieusement inquiet-e-s quant à son bien-être, et que ce traitement abusif n’allait faire qu’exacerber la gravité de son état de santé mentale et physique résultant de toutes ces années d’incarcération. Cet incident a déclenché les trois tentatives de suicide, et la dernière, qui l’a tué. Et si des milliers de personnes avaient pris part à cette action d’alerte ? Comment aurions-nous PU faire réagir Eastwood Park ? Ces questions nous hanterons pour toujours.

Guerre de Classe

Dans la vie de Taylor, tout était façonné par la classe sociale. Nous ne voulons pas que ce fait soit occulté. Ce ne sont pas les riches consommateurs/ices des drogues qui finissent en prison. Ce sont les personnes pauvres, opprimé-e-s par notre système économique, qui finissent en prison, et iels y restent pour permettre l’existence d’une société stratifiée en classes.

Leçons pour nos mouvements

« L’État est une violence permanente » – Errico Malatesta

Dans ce texte, nous écrivons « nos mouvements », mais nous ne savons pas toujours qui est ce « nos ». Nous voulons reconnaître qu’il y a eu dans nos réseaux un petit nombre d’ami-e-s proches et de camarades incroyables qui nous ont soutenu-e-s au fil des ans. Vous vous reconnaîtrez ❤️ . Qui étaient présent-e-s au téléphone après les visites éprouvantes, ou qui ont réagi aux actions d’alerte que nous avons postées en ligne. Qui ont envoyé des cartes à Taylor et sont venu-e-s faire du bruit en manif.

Mais de manière générale, nous nous sommes senti-e-s seul-e-s. Taylor était seul. Des camarades ont vécu pendant des années un véritable enfer et, le plus souvent, iels ont du supplier pour recevoir du soutien. Une personne a soutenu Taylor pendant 13 années, dont 9 où elle était pratiquement seule à le faire – et ce malgré ses tentatives répétées pour faire connaître le cas de Taylor au sein de collectifs et d’écrire en ligne à son sujet. Certains sites anarchistes ne voulaient pas diffuser nos action d’alerte ou appels à soutien parce que Taylor n’était pas un « prisonnier politique ». Alors même que la compréhension des oppressions de classe et de genre est une des bases de l’anarchisme.

La mort de Taylor aurait pu être évitée. S’il y avait eu plus de soutien, plus de résistance. Si nos mouvements étaient une putain de menace. Si les autorités pénitentiaires avaient peur de nous et de nos appels à action. Nous devons lutter farouchement pour les vivant-e-s. Nous devons lutter farouchement pour celleux qui sont toujours à l’intérieur.

Smash IPP ! Libérez Taylor maintenant !

Abolition carcérale = soutien aux prisonnier-e-s

L’abolition a été le truc à la mode pendant une courte période. Malgré cela, le travail peu gratifiant, pas sexy et pas glamour pour deux sous comprenant les coups de fil aux prisonnier-e-s, les visites, les actions d’alerte, les collectes de fonds incessantes etc. n’attire pas beaucoup de monde. On nous a dit que la manière dont nous faisions ce travail n’était pas « durable » à long terme, et pourtant aucun soutien pratique ne nous a été offert pour décharger ce poids de nos épaules. Nous refusons d’abandonner nos ami-e-s en prison.

Oui, une diversité de tactiques est nécessaire. Mais ce fait ne peut pas être utilisé comme excuse pour ne pas s’engager dans du travail peu glamour – tel que de travailler à un transfert vers une prison avec moins de matons suprémacistes blancs, ce transfert réduisant le risque pour les personnes qui te sont chères de subir des attaques racistes. Un tel processus peut prendre un an, et on peut difficilement faire mieux.

Qu’est-ce qui aurait pu aider à éviter la mort de Taylor ? Que des gens écrivent à Taylor et construisent une relation de confiance avec lui, afin qu’il ait un cercle d’ami-e-s plus étendu. De l’aide pour voyager afin de lui rendre visite. Des conseils et du soutien juridique pour la paperasse de la libération conditionnelle. Que des gens aident à organiser et partagent nos actions d’alerte. Que des gens offrent de l’aide juridique ou du soutien pour le stress traumatique continu (ou merde, même simplement admettre combien de travail c’était pour nous). Que des gens viennent aux manifs que nous appelions en soutien (et que nous ne soyons pas humilié-e-s à devoir supplier les gens pour qu’iels se bougent). Que des gens avec des privilèges utilisent leurs réseaux pour aider à faire sortir Taylor (travail médiatique, travail juridique etc). Donnent de l’argent au financement participatif pour sa chirurgie du torse et pour les coûts des visites. Des événements d’écriture de courrier pour prisonnier-e-s trans. De l’aide pour accueillir des soirées d’info sur la campagne Smash IPP ou sur le comité IWOC. Poser des banderoles. Diffuser nos déclarations et illustrations en ligne.

Nous avions besoin de la rage de tout le monde. Nous avions besoin de ne pas nous sentir seul-e-s. Nous voulions sentir la solidarité en actes. Nous voulions que les gens comprennent qu’abolition carcérale signifie soutien aux prisonnier-e-s. Que cela devrait être une part très importante du mouvement, et que faire que nos ami-e-s en prison restent vivant-e-s fait partie de la résistance.

Nous avons besoin que les gens admettent que les prisonnier-e-s ne sont pas des projets. Iels ne sont pas des projets « d’assistance sociale ». Iels ne sont pas un objet d’étude fascinant sur lesquels écrire ton mémoire d’études en master. Iels ne sont pas la même chose qu’organiser une foire du livre ou lancer un campagne. Iels sont des êtres humains et les enjeux sont la vie et la mort, merde. Les gens ont besoin de constance. Iels ont besoin d’attention et d’amitié. Iels ont besoin d’être traité-e-s comme des êtres humains, merde ! Taylor nous aimait, pas parce que nous sommes anarchistes mais parce nous sommes ses putains d’ami-e-s. Nous sommes sa famille. Parce que nous l’aimons avec passion et gentillesse pour qui il est et pas parce qu’il est un prisonnier.

Abolition carcérale signifie révolution. Fini les putains de groupes de lecture. Où est votre rage ?

Rien ne permet de décrire le sentiment que tu ressens quand tu reçois à nouveau un coup de fil disant que ton ami a été héliporté hors de la prison parce qu’il s’est ouvert sa propre gorge parce qu’il n’en peut plus des maltraitances en prison. La rage contre le système carcéral circule dans tes veines. Tu veux détruire le monde entier. Mais tu te tournes vers tes camarades, et où sont-iels ?

Curieusement, on dirait que même parmi les personnes militant pour l’abolition des prisons, la violence qui prend place en prison est très souvent ignorée, et les prisonnier-e-s sont oublié-e-s, effacé-e-s, traité-e-s avec condescendance et utilisé-e-s comme alibis. Oui, l’abolition carcérale exige de nous de réduire en cendres la totalité de l’État, les frontières, le système éducatif. Tout comme les prisons, et non pas au lieu des prisons. L’État organise la disparition des gens, alors nous devons travailler deux fois plus dur pour nous assurer qu’iels ne sont pas effacé-e-s.

Nos êtres cher-e-s sont torturé-e-s, et la réponse c’est de commencer des groupes de lectures au sujet de l’abolition carcérale. D’écrire des déclarations au Guardian, journal transphobe. On nous a répété encore et encore que les gens n’ont pas la « capacité » d’organiser une manif actuellement. Nous faisons face au silence des groupes Signal quand nous demandons du soutien. Où est votre putain de rage ?????? Pourquoi ne sommes-nous pas en train de réduire ces endroits en cendres, merde !? Le « mouvement abolitionniste » au Royaume-Uni est passif et docile. Il n’est pas assez en colère. Tu ne peux pas avoir un livre comme unique source d’apprentissage sur l’abolition. Apprend des prisonnier-e-s, apprend des personnes chères aux prisonnier-e-s. Nous sommes des putains de milliers, demande à n’importe qui son vécu et tu entendras des histoires de négligence, d’abus et de violence. C’est assez de motifs pour se battre.

Les abolitionnistes révolutionnaires des prétendus États-Unis risquaient leur vie pour libérer les gens des plantations d’esclaves. Iels ont créé l’Underground Railroad [22] pour libérer leurs familles et camarades. Où sont les actions directes pour libérer nos ami-e-s des cages ? Où est la rage quand iels meurent à l’intérieur ? Comment faisons-nous avancer nos mouvements au-delà du démarchage électoral pour ce putain de jeremy corbyn ????

Abolition signifie révolution. Cela signifie détruire l’État. Cela signifie action directe. Cela signifie remettre la guerre dans le concept de guerre de classe.

Nous savons que Taylor était une personne parmi les millions d’autres personnes gardées en cage de par le monde. Nous savons que des milliers de personnes sont assassinées par l’État dans des guerres – comme lors de l’invasion de l’Ukraine. Nous savons que l’État tue les gens à ses frontières, dans les centres de rétention, les prisons, les hôpitaux psychiatriques. Nous savons que ce sont les personnes visées par le suprémacisme blanc, le validisme, la pauvreté et la transphobie qui doivent affronter la face la plus extrême de cette violence. Chaque personne incarcérée, sans exception, est un-e prisonnier-e politique.

Ni l’enquête ni le rapport de l’assistant-e de justice [23] ne rendront « justice ». Les prisons font exactement le travail pour lequel elles ont été créées. Cette horreur n’est pas un accident. Elle est intentionnelle.

La cellule où Taylor est mort seul était recouverte d’une mare de son sang. L’HMP a son sang sur les mains, et ils ne feront face à aucune conséquence. À moins que nous ne fassions quelque chose.

Nous appelons à la rage généralisée. Souvenez-vous de Taylor. Battez-vous férocement pour toustes celleux qui sont encore en prison. Fini les slogans creux, cette lutte est une question de vie ou de mort.

Nous faisons appel aux camarades afin qu’iels honorent Taylor de toutes les manières possibles.

Contre les prisons, contre l’État. Pour l’amitié, pour la liberté, pour la révolution.

Voir en ligne : Bristol ABC (texte original en anglais)

Notes

[1L’ABC ou Anarchist Black Cross – qui signifie Croix Noire Anarchiste – est un réseau de groupes de soutien (matériel et légal) anarchistes à destination des prisonnier-e-s qui luttent pour la liberté. Aujourd’hui un réseau transnational, l’ABC existe depuis le début du 20e siècle.

[3Ce texte datant du 13 juillet 2022, les funérailles ont déjà eu lieu à l’heure où nous diffusons cette traduction.

[4Dans ce texte, le terme abolitionniste se réfère aux militant-e-s, au mouvement et au courant de pensée pronant l’abolition des prisons et du système carcéral.

[5L’IPP (Imprisonment for Public Protection – ce qui signifie Emprisonnement pour la protection publique) est un type de condamnation introduit en 2005 au Royaume-Uni. Il s’agit d’une peine appliquée aux individu-e-s considéré-e-s dangereux/ses pour la société mais dont les crimes ne valent pas une condamnation à vie. La structure d’une condamnation IPP inclut : (1) une période en prison appelée tariff d’une durée considérée comme proportionnelle au crime, suivie de (2) une durée en prison post-tariff indéterminée, durant laquelle l’individu-e attend de passer devant un tribunal d’application des peines afin de prouver qu’iel n’est plus un danger pour la société, et (3) une libération assortie d’une période indéfinie de supervision, ce qui signifie que les individu-e-s peuvent être rappelé-e-s en prison à n’importe quel moment durant le reste de leur vie pour avoir outrepassé des conditions contractuelles arbitraire et non-criminelles. La Cour Européenne des Droits Humains a jugé que les condamnations IPP violaient les droits humains, ce qui a conduit à la suppression de ce type de condamnation en 2012. Pourtant, malgré cette interdiction, les personnes ayant déjà été condamné-e-s sous le système IPP doivent continuer à purger leur peine.

[6L’IWW ou Industrial Workers of the World – le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Industriels – est un syndicat international fondé aux États-Unis en 1905. À son apogée en 1923, l’organisation comptait environ 100.000 membres actifs/ves. Aujourd’hui, l’organisation milite toujours activement, et compte environ 9300 membres à travers le monde. Les IWW ont comme principe fondamental l’unité des travailleurs/euses au sein d’un seul grand syndicat (« One Big Union ») en tant que classe sociale partageant les mêmes intérêts. Elle vise à l’abolition du salariat. Plus d’infos sur wikipedia et sur le site de l’IWW.

[7IWOC ou Incarcerated Workers Organizing Committee – Comité d’organisation des Travailleurs/euses Incarcéré-e-s – est une section de l’IWW dirigée par des prisonnier-e-s. Avec l’appui d’allié-e-s et soutiens à l’extérieur, elle lutte pour en finir avec l’esclavage en prison par des moyens tels que la grève, les arrêts de travail, la grève de la faim et d’autres actes de résistance. Elle est constituée de centaines de membres dans plus de 15 prisons.

[8Campagne pour l’Abolition du régime de condamnation et d’emprisonnement IPP.

[9Durée minimale incompressible à purger lors d’une condamnation IPP – cf. note 5.

[10Dans le texte original en anglais, iels parlent de Parole Board, terme que l’on pourrait traduire par Comité de probation. selon le dictionnaire en ligne wordreference, il s’’agit d’un « Organisme composé d’éducateurs/ices et d’assistant-e-s sociaux/ales chargé-e-s de l’accueil des sortant-e-s de prison, du contrôle et de l’aide aux libéré-e-s conditionnel-le-s et aux condamné-e-s faisant l’objet de mesures de sursis avec mise à l’épreuve ou de Travaux d’Intérêt Général. ». En Belgique, l’équivalent serait le tribunal d’application des peines (TAP).

[11Au Royaume-Uni, il existe différentes catégories de prisonnier-e-s classé-e-s de A à D – ce classement variant selon le degré de risque que les prisonnier-e-s sont sensé-e-s représenter pour la société et les un-e-s envers les autres. Les prisonnier-e-s de catégorie D sont détenu-e-s dans les prisons au régime plus « relax » et sont défini-e-s comme « celleux en qui on peut avoir assez confiance, qui n’essayeront pas de s’échapper et qui ont le privilège d’être détenu-e-s dans une prison ouverte. » – Explications tirées du site Doingtime.

[12Ici, le texte original en anglais parle de « outside Probation Service and Offender Managers » au sein de la prison, qui écrivent des rapports avec des recommandations concernant les prisonnier-e-s. Ce poste n’a pas d’équivalent en Belgique, les systèmes de gestion et d’application des peines belge et britannique étant très différents. C’est pourquoi nous avons également traduit cette expression par « tribunal d’application des peines », même si ce n’est pas tout à fait pareil.

[13À priori, jeu de mot en anglais sur les termes gender-fluid (expression signifiant « fluidité de genre » - critique de la notion figée de binarité de genre) et bodily fluids (signifiant fluides corporels, c’est-à-dire tout liquide organique issu du corps). Expression difficile à traduire en français donc, mais qui pourrait être exprimée par quelque chose comme « Prend-toi de mes fluides dégenrés dans la tronche ».

[14Prénom assigné à la naissance ne correspondant pas au prénom choisi par la personne, ce dernier correspondant souvent aussi mieux à son identité de genre.

[15Mégenrer signifie utiliser le mauvais genre en parlant à/d’une personne.

[16Un binder est un sous-vêtement compressif permettant d’aplatir la partie haute du torse, principalement utilisé par les hommes trans, les personnes non-binaires, et certain-e-s crossplayeurs/euses.

[17La chirurgie du torse se dit top chirurgy en anglais. Il s’agit d’une procédure chirurgicale par laquelle on réduit ou supprime le tissu mammaire dans le but de rendre le torse (plus) plat.

[18L’IEP (pour Incentive and Earned Privileges, que l’on pourrait traduire par Privilèges d’incitation et de récompense) est un statut attribué à chaque prisonnier-e, basé sur son comportement. Le statut de base, reçu en entrant en prison, évolue au fil de la peine selon le comportement du/de la prisonnier-e, son respect des règles de la prison et les attentes qui pèsent sur ellui. Ce statut peut donc évoluer positivement (accès à la télé, pouvoir porter ses propres vêtements, nombre de visites augmenté, durée des visites plus longue ou autres « privilèges ») ou négativement (punitions, suppression de la possibilité de cantiner, réduction des visites etc.). Si l’infraction est considérée comme assez grave, la prison peut transmettre l’affaire à un-e juge qui pourra décider d’autres sanctions – dont une prolongation de la peine – Explications tirées du site Doingtime.

[19HMP = Her Majesty’s Prison, Prison de Sa Majesté.

[20ROTLs = Release On Temporary License, l’équivalent en français d’une autorisation de sortie ou de congés pénitentiaires.

[21Un centre commercial à Bristol.

[22Le Chemin de fer clandestin était un réseau de routes, d’itinéraires et de refuges sûrs utilisé par les esclaves afro-américain-e-s fuyant vers la liberté au-delà de la ligne Mason-Dixon et jusqu’au Canada, avec l’aide d’abolitionnistes qui adhéraient à leur cause. Plus d’infos sur la page wikipedia.

[23En Belgique, on parle d’assistant-e de justice. En France, il s’agit du/de la conseiller-e pénitentiaire d’insertion et de probation.

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

ARTICLES LIÉS

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info