Monsieur le Bourgmestre, Messieurs les juges d’instruction,
Nous vous adressons la présente en notre qualité de membres de la Commission de Surveillance de la prison de Saint-Gilles.
Notre Commission de Surveillance est chargée du contrôle indépendant de la prison, du traitement réservés aux personnes détenues et du respect de leurs droits.
C’est dans ce contexte et face à nos constats récents sur la situation à l’intérieur de la prison de Saint- Gilles que nous nous adressons à vous.
La situation à la prison de Saint-Gilles a toujours été problématique et nous en profitons pour vous rappeler les constats du Comité de Prévention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) dans leurs rapports de visites à ce sujet, le dernier en date publié le 29 novembre 2022.
Or, nous constatons que les conditions de détention pour les détenus et de travail pour le personnel sont pires que jamais et se dégradent de jour en jour. Ceci est clairement dû à un manque structurel et accru de personnel, à la vétusté du bâtiment et à la surpopulation aigue.
En novembre, le nombre de détenus à Saint-Gilles oscillait entre 900 et 923 détenus.
Si nous saluons la politique de la direction de la prison de ne pas mettre de matelas au sol, cela implique néanmoins que des cellules qui seraient normalement condamnées en raison de leur vétusté, soient quand même utilisées pour permettre aux détenus de dormir dans un lit.
Il s’agit des cellules qui ont été brulées (telle qu’une des cellules de l’annexe), où la plomberie ne fonctionne pas, ou des cellules qui sont sans carreaux. Nous avons appris que près de dix cellules de l’aile B n’ont pas de carreaux. Le personnel donne du textile ou du carton aux détenus pour bloquer l’ouverture. Nous n’avons pas d’indication de réparations de ces carreaux dans l’immédiat : les fenêtres de l’ancienne prison de Forest devraient être récupérées à cet effet. Or, depuis quelques jours les températures descendent fréquemment en dessous de zéro.
Dû au manque de personnel et aux nombreuses grèves, les activités les plus élémentaires auxquelles les détenus ont droit et prévues dans la loi de principe de 2005, sont régulièrement annulées.
Ainsi, les douches ne sont plus organisées systématiquement (par manque d’effectif, les journées de grève ou à cause de pannes de boiler), les draps ne sont pas lavés plus d’une fois par mois. Les préaux n’ont pas lieu tous les jours, les visites sont régulièrement annulées et les détenus ne reçoivent plus de vêtements ou de linge de l’extérieur les jours de grève et les jours de service minimum.
Les détenus en cellule de punition ne reçoivent plus d’eau chaude pour se laver (par manque de bassines), ils dorment sur des matelas déchirés, et doivent utiliser des sanitaires défectueux qui répandent une odeur fétide.
Les services médicaux ne peuvent plus répondre à la demande tandis que les procédures judiciaires sont retardées en raison de l’encombrement du greffe.
Les services externes n’ont plus la possibilité de voir les détenus dans la partie cellulaire et sont fortement limitées dans leur possibilités d’accompagnement. A titre d’exemple, une personne toxicomane qui a fait une demande de suivi psychologique dans le cadre de son assuétude en septembre 2022 est toujours sur liste d’attente.
Régulièrement, les transferts au palais sont annulés, compromettant le droit des détenus à comparaître personnellement aux audiences au palais de justice.
Toutes les activités telles que la bibliothèque et le fitness sont annulées jusqu’au 6 janvier 2023 minimum. Ceci est une revendication de la part des syndicats du personnel pénitentiaire, qui dénonce les circonstances de travail. En effet, le personnel est en sévère sous-effectif. Beaucoup de membres du personnel ont déménagé vers la nouvelle prison de Haren, sans que le personnel ne soit remplacé à Saint-Gilles. Au cours du mois écoulé, nous constatons surtout que la situation à Haren s’améliore lentement, tandis que celle de Saint Gilles se dégrade de jour en jour.
Nous estimons que les conditions de détention sont telles que la privation de liberté à la prison de Saint-Gilles peut être qualifiée de traitement inhumain et dégradant et que l’Etat belge viole l’article 3 de la CEDH. De même, la suppression répétée des visites auxquelles les détenus ont pourtant droit est constitutif d’une violation de l’article 8 de la CEDH.
La Commission de Surveillance de la prison de Saint-Gilles estime que l’Etat belge se rend coupable de violations des droits fondamentaux des détenus.
Monsieur le Bourgmestre, votre collègue Monsieur Yves Binon, Bourgmestre de la commune de Jamioulx visite régulièrement la prison de Jamioulx pour se tenir informé. Lors de sa dernière visite tenue le 17 novembre 2022, il n’a pu que constater que cette prison se détériorait de plus en plus et il a posé deux ultimatums au nom de la sécurité et de la dignité humaine : le respect strict du nombre de détenu maximum pouvant être incarcérés et la fermeture pure et simple de la prison si des travaux ne sont pas effectués.
Messieurs les juge d’instruction, le 19 mai 2022, Madame la juge d’instruction Anne Gruwez a visité l’établissement pénitentiaire de Haren. Le 17 septembre 2022, plusieurs magistrats du pays ont été invité à « tester » ce nouvel établissement. L’idée du Ministre de la justice était de leur permettre d’avoir « une idée quotidienne des détenus et du fonctionnement d’une prison » et de mieux appréhender les conséquences d’une incarcération. Bien que des transferts de détenus aient déjà eu lieu vers Haren, la prison de Saint-Gilles ne sera pas vidée avant de très nombreux mois. Pendant ce temps, des détenus subiront encore les conditions de détention désastreuses auxquelles ils sont déjà soumis. Il y a lieu de constater ces conditions et d’avoir une idée du fonctionnement actuel de la prison de Saint-Gilles.
Conformément aux articles 611 et 612 du Code d’instruction criminelle, nous vous invitons à venir visiter la prison de Saint-Gilles et constater de vos propres yeux les conditions de détention.
Nous vous invitons à explicitement demander à visiter les cellules brulées, gravement abimées ou sans carreaux où sont logés des détenus en raison de la surpopulation, à constater l’état des cellules de punition au fond de l’aile B et celui de l’annexe psychiatrique au fond de l’aile A.
Dans l’attente de vous lire, nous vous prions de croire, Monsieur le Bourgmestre, Messieurs les juge d’instruction, à l’assurance de notre considération distinguée.
Fait à Bruxelles le 20 décembre 2022,
La Commission de Surveillance de la prison de Saint-Gilles
complements article
Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!
Proposer un complément d'info