stuut.info

[Carte blanche] Sans justice pour les Palestiniens, Israël ne sera jamais entièrement légitime

[Carte blanche] Sans justice pour les Palestiniens, Israël ne sera jamais entièrement légitime

Les signataires d’une tribune parue dans Le Soir la semaine dernière s’indignent du succès des appels au boycott d’Israël. Ceux-ci n’auraient d’autres explications que l’antisémitisme puisqu’ “Israël respecte les droits humains” (sic !)…

Belgique | Ailleurs | sur https://stuut.info

Une carte blanche parue dans Le Soir de la semaine dernière fustigeait les appels au boycott d’Israël, qui seraient, d’après les signataires, largement motivés par l’antisémitisme [Définir les limites de l’antisémitisme – Le Soir, parue le 4 juillet].
L’Association belgo-palestinienne (ABP), l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), Een Andere Joodse Stem (EAJS) et Palestina Solidariteit répondent dans un texte paru dans Le Soir en ligne d’aujourd’hui que si Israël est de plus en plus perçu comme illégitime, c’est en raison de sa politique coloniale d’apartheid contre le peuple palestinien.
Plus que jamais, il faut combattre l’amalgame associant les Juif·ves à Israël, et non pas l’entretenir comme le font certains pompiers pyromanes dont le premier objectif semble être de désamorcer toute critique d’un régime indéfendable.

Une carte blanche parue dans « Le Soir » fustige les appels au boycott d’Israël, qui seraient largement motivés par l’antisémitisme. « Plutôt que de recourir aux accusations outrancières, ses auteurs seraient plus inspirés de se pencher sur les causes réelles de l’impopularité croissante d’Israël, à savoir le maintien des Palestiniens sous un régime colonial d’apartheid », leur rétorquent des organisations actives dans la défense des droits des Palestiniens.

Il y a des timings qui en disent long. À l’heure où l’armée d’occupation mettait la ville de Jénine et toute la Cisjordanie à feu et à sang, certains ont estimé opportun de s’attaquer à la solidarité avec les Palestiniens. Les signataires d’une tribune parue le 4 juillet déplorent en effet la multiplication des appels au boycott d’Israël, jusqu’aux conseils communaux de Liège et de Verviers qui ont suspendu les 24 avril et 30 mai dernier leurs relations avec le pays jusqu’à ce qu’il cesse de violer les droits des Palestiniens et le droit international. Selon eux, ces initiatives ne sauraient être que suspectes s’agissant du « seul État des Juifs », qui serait ciblé en cette qualité et non en raison de sa politique. Comment pourrait-il en être autrement, puisque ce dernier « respecte les droits humains » ?

À l’appui de cet « argumentaire », la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA, qui permettrait de « définir les limites » du racisme anti-juif. Cet outil, qui repose sur 11 exemples dont 7 concernent la critique d’Israël, est pourtant largement contesté en raison de l’usage qui en est fait pour réduire au silence les défenseurs des droits des Palestiniens, y compris par un de ses auteurs, Kenneth Stern.

Les Palestiniens invisibilisés

Depuis l’arrivée au pouvoir en Israël d’un gouvernement ouvertement annexionniste et raciste il y a 6 mois, tous les indicateurs sont au rouge écarlate. La colonisation atteint des niveaux records ; des expéditions punitives sont menées par les colons dans les localités palestiniennes avec la bénédiction des autorités ; près de 200 Palestiniens ont été tués depuis le début de l’année dont la moitié de civils, soit plus que durant toute l’année 2022 ; enfin, un ministre fanatique, Bezalel Smotrich, qui appelait en 2017 à exterminer les Palestiniens, femmes et enfants compris, s’ils refusaient l’expulsion ou la soumission, est récemment devenu le gouverneur officieux de la Cisjordanie. Il faut beaucoup d’aplomb, dans ces conditions, pour prétendre qu’Israël « respecte les droits humains » et pour contester le droit à boycotter cet État qui, contrairement à d’autres, n’a jamais été menacé de la moindre sanction.

Le désintérêt des auteurs de cette tribune pour cette réalité s’étend plus largement aux Palestiniens eux-mêmes, jamais cités comme sujets tout au long de ce texte. Ce point aveugle n’a rien d’un oubli. Il est symptomatique du regard colonial porté par Israël et ses relais sur la population palestinienne, perçue comme un vestige du passé, appelé à s’effacer devant la réalisation du projet national sioniste.

On touche ici au cœur du malentendu : pour le mouvement de solidarité global auquel nous nous rattachons, le problème n’a jamais été le principe même d’un foyer national juif, mais le fait qu’il se soit constitué dans la pratique au détriment des droits nationaux de la population autochtone et au prix de sa dépossession. Pour les fondateurs d’Israël, le nettoyage ethnique de la Palestine qui s’est traduit par l’expulsion massive de 750 000 Palestiniens en 1948 (la « Nakba ») était en effet une nécessité, comme en attestent notamment les travaux des « nouveaux historiens » israéliens. Quelle qu’ait pu être la justesse des motivations de ceux qui ont cherché à apporter une réponse aux persécutions séculaires des populations juives, Israël ne sera jamais entièrement légitime tant qu’il n’aura pas réparé l’injustice que sa création a occasionnée et qu’il perpétue jusqu’à aujourd’hui.

Banalisation des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre

Autre manœuvre rhétorique éculée : l’accusation d’indignation sélective envers Israël. Elle prend appui sur la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA, laquelle considère comme antisémite le fait de « faire preuve d’un double standard en exigeant d’Israël un comportement qui n’est attendu ni requis d’aucun autre pays démocratique ». Les États doivent bien entendu être traités de la même façon à violation des droits humains équivalente et les membres de nos associations respectives n’ont pas attendu ces mauvais procès pour se mobiliser sur de nombreux autres fronts de la solidarité internationale. Mais le combat pour l’universalité des droits et de la justice ne passera certainement pas par une baisse de la vigilance envers les gouvernements les plus attentivement scrutés sous prétexte qu’« ailleurs, ce serait pire ».

En l’espèce, on peut difficilement soutenir qu’Israël serait défavorisé en la matière. Il suffit pour s’en convaincre de constater le gouffre entre les réactions de nos gouvernements à l’occupation d’une partie du territoire ukrainien par la Russie et à celle du territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. Si Israël concentre les critiques, c’est précisément parce qu’il échappe aux conséquences de ses actes.

En réalité, ce procédé victimaire dissimule mal son véritable objectif : banaliser la gravité des crimes d’Israël, en particulier le crime de guerre que constitue la colonisation et, surtout, le crime contre l’humanité que représente l’apartheid
 [1] contre le peuple palestinien. Trois des principales organisations de défense des droits humains de référence en la matière au niveau mondial – la Fédération internationale des droits humains, Human Rights Watch et Amnesty International – ont successivement formulé cette dernière accusation, à la suite d’ONG palestiniennes… et israéliennes ! Si l’on peut questionner les motivations de certains gouvernements à pointer systématiquement Israël, il en va tout autrement de celles de structures dont l’engagement pour les droits humains partout dans le monde les rend peu suspectes de pratiquer un deux poids, deux mesures.

Les dangers de l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme

La lutte contre l’apartheid est une obligation internationale. La reconnaissance croissante de la réalité de sa pratique par Israël est donc logiquement de nature à rendre fébriles ses défenseurs inconditionnels. Ceci explique l’intérêt qu’il y a pour eux à promouvoir à tous crins la définition de l’IHRA, qui interdit virtuellement de formuler cette accusation en disposant que pourrait être considéré comme antisémite le fait de « qualifier Israël d’entreprise raciste ». Loin de permettre de distinguer le bon grain de l’ivraie, celle-ci renforce la criminalisation de la solidarité avec la Palestine et les atteintes à la liberté d’expression partout où elle est d’application, ainsi qu’en atteste un récent rapport de l’ONG European Legal Support Center portant sur l’Union européenne et le Royaume-Uni. Elle doit donc être rejetée, au profit d’autres outils plus adaptés pour faire reculer le racisme anti-juif, comme la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme.

Il n’est pas question ici de contester le fait que la cause palestinienne puisse parfois être instrumentalisée par d’authentiques judéophobes. Chacune de nos organisations s’emploie à le dénoncer et à combattre le fléau de l’antisémitisme. C’est dans cette perspective que nous cherchons à déconstruire les fantasmes morbides entourant le conflit israélo-palestinien en en pointant la véritable source, à savoir la logique coloniale, et en replaçant la lutte contre cette dernière dans le cadre de la protection des droits humains. En tentant une fois de plus de délégitimer notre engagement, les habituels pompiers pyromanes contribuent au contraire à alimenter le détestable amalgame entre Israël et les Juifs, et par là même, l’antisémitisme.

Voir en ligne : UPJB

Notes

[1Défini par le droit international comme un régime qui vise à imposer la domination d’un groupe racial (au sens social et non biologique du terme) sur un autre de manière systématique au moyen de lois, de pratiques et de politiques discriminatoires.

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

ARTICLES LIÉS

Racismes / Colonialismes

[Grande-Bretagne] Quatre militants pro-palestiniens condamnés

À la Mold Crown Court, le juge Rowlands a condamné trois militants de Palestine Action à une peine de 23 mois, et un autre à 27 mois, après que les quatre ont été reconnus coupables de « conspiration en vue de commettre des dommages criminels » contre une usine d’armement américaine basée au Pays de Galles, Teledyne Labtech. Lors de l’action qui s’est déroulée le 9 décembre 2022 (voir nos articles), deux des quatre personnes ont démantelé des équipements militaires à l’intérieur de l’usine, tandis que les autres occupaient le toit. Au total, il y aurait eu pour 1,2 million de livres sterling de dégâts, perturbant la production d’armes. La moitié de leur peine devrait être purgée en prison, et ils ont déjà purgé près de 7 mois, puisqu’ils ont été placés en détention provisoire depuis que l’action a eu lieu. Le verdict est intervenu après que la majorité de leurs moyens de défense ont été rejetés par le juge, notamment le fait d’avoir empêché un crime plus grave et d’avoir agi par nécessité pour sauver des vies. Bien que le juge n’ait pas permis que les preuves des crimes de guerre commis par Israël soient entendues au tribunal, le directrice de Teledyne a été entendue et a admis que leurs produits étaient notamment utilisés pour des missiles. Teledyne fournit des drones armés à Israël depuis au moins 1973 et est le plus grand exportateur d’armes de Grande-Bretagne vers l’État d’apartheid d’Israël.

Ailleurs Ailleurs |
Extrême-droite / Antifascisme

[Palestine] Attaques israéliennes sur Jénine : réaction de l’Association belgo-palestinienne

Les dimanche 2 et lundi 3 juillet, l’armée d’occupation israélienne a lancé des frappes aériennes et une invasion terrestre massive sur le camp de réfugiés palestiniens de Jénine. Huit Palestiniens ont été assassinés, cinquante sont blessés, dont dix dans un état critique, et les infrastructures civiles ont été lourdement endommagées. Parallèlement, l’annexion du territoire palestinien s’est drastiquement accélérée ces derniers mois sous l’impulsion du nouveau gouvernement israélien. L’Association belgo-palestinienne demande instamment à la Belgique et à l’UE de prendre enfin des sanctions contre Israël afin de mettre fin à son impunité. Cette offensive s’ajoute à la longue liste des agressions israéliennes commises contre ce bastion de la résistance palestinienne, dont la dernière, le 19 juin, avait déjà coûté la vie à 6 Palestiniens, dont deux enfants, et fait une centaine de blessés. En six mois, plus de 180 Palestiniens, dont la moitié de civils, ont déjà été assassinés, soit autant que durant toute l’année 2022. De par leur ampleur, ces deux attaques témoignent toutefois d’un changement d’échelle dans la répression, à un niveau que l’on n’avait plus vu en Cisjordanie depuis deux décennies et la fin de la deuxième Intifada. Il y a tout lieu de penser que l’attaque israélienne actuellement en cours est appelée à se poursuivre et à s’amplifier à brève échéance. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est en effet aligné sur l’agenda radical anti-palestinien de l’aile la plus fanatique de son gouvernement d’extrême droite, laquelle multiplie les appels haineux à la violence contre les Palestiniens, y compris de la part de colons dont elle encourage les expéditions punitives contre les Palestiniens. En sus de ces violences, la colonisation israélienne du territoire palestinien occupé se déploie également à un rythme effréné. 13082 logements ont en effet été programmés dans les colonies ces six derniers mois, contre 4427 en 2022 et 12 159 en 2020, dernière année record en la matière. Le nouveau gouverneur officieux de la Cisjordanie, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, a de surcroît obtenu la suppression de tous les obstacles administratifs aux constructions dans les colonies, qui seront désormais aussi rapidement autorisées que sur le territoire israélien. Là encore, les suprémacistes raciaux ne font pas office d’aiguillon du gouvernement israélien comme Netanyahou cherche à le faire croire, mais bien de boussole. Dès l’annonce de la formation de ce gouvernement, l’ABP, et avec elle l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine, tirait la sonnette d’alarme et appelait déjà à des sanctions pour stopper l’agenda colonial, raciste et annexioniste contenu dans l’accord de coalition. Au contraire, le processus de normalisation des relations avec Israël s’est poursuivi et a été encouragé par la Belgique et l’Union européenne. ” En abandonnant les Palestiniens à leur sort, l’UE perd sa crédibilité en matière de défense...

Ailleurs Ailleurs |
Contrôle social / Répression

Une association internationale de juristes dénonce la répression anti-palestinienne en Europe

Lors de la réunion de son Conseil le 2 juillet 2023, l’Association internationale des juristes démocrates a adopté une résolution sur la répression étatique ciblant la solidarité avec la Palestine et l’organisation de la communauté palestinienne en Europe, dénonçant notamment la procédure de dissolution contre le Collectif Palestine Vaincra. Fondée en 1946, l’IADL a un statut consultatif au Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) et à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Elle compte des sections et des membres dans 50 pays et territoires. Considérant que l’Association internationale des juristes démocrates a déjà exprimé de sérieuses inquiétudes quant à la répression continue de la communauté palestinienne et de l’organisation de la solidarité avec la Palestine en Europe, en particulier en Allemagne, et Considérant que ces incidents ont inclus la suppression du visa Schengen de Rasmea Odeh, survivante de la torture et ancienne prisonnière politique, l’interdiction politique de l’écrivain palestinien Khaled Barakat et son expulsion d’Allemagne, le licenciement de journalistes palestiniens et arabes pour avoir exprimé leurs opinions sur la Palestine sur les réseaux sociaux, les actes de plusieurs gouvernements, dont celui de Berlin, visant à interdire les commémorations de la Nakba et les manifestations pour la libération des prisonniers politiques palestiniens, et à empêcher les événements et les activités de soutien à la Palestine ou prônant le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël, de se dérouler dans des installations publiques ou de se dérouler tout court, et Considérant que les fonctionnaires de l’immigration de Berlin ont également recommandé dans de nombreux cas le refus de résidence, l’expulsion et même l’interdiction de séjour en Allemagne ou en Europe pendant plusieurs années, en particulier à l’encontre de jeunes Palestiniens, y compris des réfugiés palestiniens apatrides, et Attendu que le 17 avril 2023, la police berlinoise a de nouveau interdit les manifestations organisées à l’occasion de la Journée des prisonniers palestiniens et, en mai 2023, les commémorations du 75e anniversaire de la Nakba, l’expulsion forcée des Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres. Attendu que la seule manifestation du 20 mai 2023 qui n’avait pas été initialement interdite, organisée par des organisateurs juifs solidaires, a été attaquée par la police après que les organisateurs ont refusé d’exclure les militants palestiniens de leur manifestation ou d’empêcher les gens de chanter « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre », et que des militants juifs, palestiniens et solidaires ont été violemment arrêtés par la police berlinoise, et Considérant que la police berlinoise a dépêché au moins six agents armés pour retirer d’un mur vide de Berlin une affiche murale sur Khader Adnan, le prisonnier palestinien décédé dans les prisons (...)

Ailleurs Ailleurs |

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info