Santé / Soins
[Brochure] Vélovalidismes
Vélovalidismes
Mon vélo et moi, on ne fait qu’un. Des fois j’aimerais que ça ait toujours été le même, même si aujourd’hui c’est mon quatrième vélo. Cadre droit, selle haute, pédaler vite, le vent sur le visage, avaler le goudron, l’ivresse de la vitesse et l’équilibre du vélo sans les mains.
Dans les années 90 j’étais adolescente et on n’avait pas de voiture dans ma famille. Tous les jours, à vélo pour aller au lycée, pour aller faire du théâtre ou les courses, pour le plaisir de promener toute seule. J’étais la seule de mon école et parmi mes amies. Iels trouvaient ça bizarre, c’était le contraire de cool. J’assumais à moitié. Avec elles, je devais pousser mon vélo, slalomer avec les poubelles et les caniveaux, et on se prenait les pédales dans les tibias. Mais seule sur mon vélo, la ville m’appartenait. Pas besoin d’attendre un bus ni d’attendre qu’on vienne me chercher. Je vais où je veux comme je veux. Tout va bien tant que le trajet n’est pas trop long ni fatiguant.
J’ai tout fait avec mon vélo, transporter des gens, les sacoches blindées de courses, transporter des trucs encombrants et lourds avec tendeurs et ficelles dans tous les coins. Toujours seule et à mon rythme, parfois lent, parfois très lent, parfois en poussant. En calculant l’itinéraire, jamais trop long ou bien avec une grande pause, jamais de forts dénivelés. Pendant mes études, le trajet jusqu’au campus, à 6km en côte douce, était inimaginable. Lorsqu’elles sont inévitables, prévoir de poser le pied, et de marcher. J’ai toujours eu des vélos avec 7 vitesses (et parfois 3 plateaux) même pour ceux que j’ai emprunté en voyage. Il faut que je ne puisse jamais forcer, il faut que je puisse changer les vitesses même sur du plat.
Sans les vitesses et sans la planification de l’itinéraire, faire du vélo devient un enfer. Vélo-enfer
Je suis malade chronique depuis 20 ans. Cela fait peu de temps que j’ai compris qu’il s’agit d’un handicap invisible.
Il y a plein de déclencheurs qui vont provoquer des crises douloureuses – la fatigue, les aliments, les émotions fortes, les allergies, les stimuli visuels ou audio, le décalage horaire, les variations hormonales, la pression atmosphérique... Les crises ne sont que le sommet de l’iceberg, la manifestation incontournable de ma maladie. Elles sont plus ou moins fréquentes, mais la maladie est toujours là, comme une épée de Damoclès sur chacune de mes journées.
L’effort physique, même court, un soupçon intense, celui qui active juste ma circulation sanguine et fait battre mon cœur un peu fort, déclenche des crises très violentes, longues et déstabilisantes. Au plus tard deux heures après le début de l’effort, mon visage est rouge, très rouge, je ne supporte ni aucun bruit ni aucune lumière (même pas une tache de soleil dans une pièce sombre), j’ai l’impression d’être horriblement déshydratée, puis mon crâne est pris dans un étau qui menace de le faire éclater ou de faire exploser mon cerveau à l’intérieur. La douleur,...