Résistances et solidarités internationales
#5 Lettre du Rojava : DES TATOUAGES ET DES COEURS GRANDS COMME ÇA !
Une route qui revêt désormais, et pour toujours, une place particulière dans celles que j’ai eu l’opportunité de parcourir à travers ce vaste monde. Elle relie deux villes frontalières du nord de la Syrie avec la Turquie. Des kilomètres de goudron qui sont, au fil du temps, devenus un peu les miens, reliés à mon existence par l’intensité des émotions qui les ont traversées. Non seulement, il s’agit du déplacement motorisé que j’ai le plus de fois effectué depuis mon arrivée, mais le fait d’en avoir parcouru, une bonne partie, à pied change inévitablement la donne. (1) J’ai toujours été étonné de voir à quel point un déplacement pédestre (c’est le cas aussi, dans une moindre mesure, avec deux-roues et des pédales) grave dans notre mémoire une foison de détails variés du parcours. Il y a, certes, des éléments particuliers dont la place privilégiée trouvée dans notre disque dur semble une évidence, mais il y en d’autres qui ont de quoi surprendre vu leur apparente banalité : un poteau électrique, une pancarte, un virage, un tas de pierres.
Pour la première fois, en m’asseyant ce matin dans la voiture, une légère appréhension ou plutôt une prise de conscience me gagne. Et si… Et si… aujourd’hui, c’était sur nous que s’abattait la charge mortelle d’un drone turc. Et si… aujourd’hui une de ces ’merveilles technologiques’ dont on doit la propagation notamment au premier président noir états-unien mettait fin à mes jours. Comme le disait, à juste titre, Chomsky, évoquant le programme de drones développé par Obama : « Souvenez-vous que la pire campagne terroriste au monde est de loin celle orchestrée par Washington. C’est une campagne mondiale d’assassinat. Il n’y a jamais eu de campagne terroriste à cette échelle ». (2) Car c’est bien la terreur que sèment ces engins, virevoltant à des centaines de mètres au-dessus de nos têtes, de façon presqu’indétectable (3), tantôt pour surveiller tantôt pour assassiner. Je ne saurais dire exactement pourquoi cette éventualité ne m’avait pas jusque-là réellement traversé l’esprit. Peut-être, la densité de la réalité environnante se fait-elle, désormais, plus tangible. Peut-être, le fait de connaître certains lieux où des camarades sont tombés martyrs fait la différence. Peut-être, la prise de conscience du dévouement total pour cette utopie de mon responsable, depuis une décennie, me fait comprendre qu’il pourrait être ciblé.
C’est que la campagne d’assassinats contre l’appareil militaire et administratif de l’AANES (Administration Autonome du Nord-Est de la Syrie) s’est accentuée ces derniers mois, notamment contre les structures de femmes. La liste est malheureusement bien trop longue. Parmi les nombreux assassinats de ces dernières semaines, je voudrais en citer trois qui m’ont tout particulièrement marqué par le message implicite qu’ils véhiculent. Le 22 juillet, trois membres importantes des structures d’autodéfense féminines ont été tuées à Qamishlo, à leur sortie d’une conférence sur les acquis de (...)